Calixte Beyala : « Seuls les États-Unis d’Afrique sauveront le Continent…. »

Passion. Voilà le vocable qui caractérise le mieux Calixte Beyala. Passion de la l’Afrique, son Afrique ; si riche de son humanité. Cette humanité-même qui, à l’en croire, constitue l’avenir de l’Homme. Tantôt critique, tantôt irritée, elle jette un regard enchanté mais lucide sur son continent. Sur les combats qui sont les siens. Sans jamais se renier. Témoignages.
Par Jacques POWPLY
interview publiée dans l’édition internationale du Magazine Afrique Compétences n°1

Vous militez pour la double discrimination positive de la femme, de surcroit noire. C’est à croire qu’il y a une conspiration universelle à l’égard de la femme elle-même, puisqu’à quelques nuances près ; celle-ci subit le même traitement dans toutes les sociétés à l’échelle planétaire ?

Les femmes constituent 52% de la population mondiale. Elles sont donc majoritaires. Pourtant elles sont sous représentées dans toutes les fonctions qu’elles soient administratives, politiques ou économiques. Donc, cela pose le problème de la réussite réelle de la femme dans toutes les sociétés. En France, il y a très peu de femmes à l’Assemblée nationale. Très peu de femmes sont patrons d’entreprises. Il n’y a jamais eu de femme président de la République ni de l’Assemblée nationale. Dans le monde entier, très de peu de femmes sont président de la République ou chef de gouvernement. Sans aller jusqu’en Afrique, en Europe, à l’exception d’Angela Merkel, on se retrouve sur le champ politique dans un no man’s land exclusivement réservé aux hommes. Cela relève du fait que la femme a toujours été considérée comme un être inférieur dans toues les sociétés. Il y a eu un complot masculin à l’égard de la femme avec le christianisme et toutes les religions, d’ailleurs. Déjà dans Genèse, nous sommes porteuses de péché. La femme a toujours été bannie, infériorisée, affublée de tous les maux. L’Afrique est un contient féminin et le jour où la femme prendra tout son pouvoir notamment politique, l’Afrique s’en sortira. Parce que c’est un être beaucoup plus humaniste. Cet humanisme est certainement, de mon point de vue, lié à la maternité parce que les femmes sont moins égocentrées et moins égocentriques ; donc moins portées sur elles-mêmes que les hommes qui se sentent obligés d’exister à travers des éléments factifs comme la belle voiture, la belle maison, la belle fonction. La femme n’a pas besoin de tout cela. Elle a déjà un pouvoir extraordinaire, celui de donner la vie. Et le jour où les femmes auront le pouvoir en Afrique, il y aura moins de guerre, moins de conflit, moins de famine, moins de corruption. Il en découlera un développement réel de l’Afrique. Reste à la femme de se battre.

Est-ce à dire qu’à ce stade de votre combat, aucune avancée significative n’a été enregistrée en matière de reconnaissance et de valorisation des droits de la femme en Afrique subsaharienne ?

Il y a eu des évolutions. Mais il y a encore en Afrique subsaharienne des régions où la charia est pratiquée. Des régions où il ya de grosses discriminations à l’égard des femmes. Des régions où la femme ne peut pas assumer des fonctions politiques. Des régions où même les associations de femmes sont dirigées par des hommes. Mais, il y a eu des avancées. On peut citer entre autres, la présidente du Libéria, Madame Mandela, une grande dame africaine. En côte d’Ivoire, il y a madame Simone Gbagbo qui est une grande intellectuelle africaine capable d’être autonome, c’est-à-dire qui existe d’abord par elle même. Parce qu’elle n’est pas une femme de représentation. Par conséquent, je ne citerai pas les épouses de chefs d’Etats parce qu’elles ne font rien d’elles-mêmes. Il y a eu dans l’histoire, la chanteuse Miriam Makeba. Elles ne sont pas nombreuses donc il faut faire évoluer les choses pour que l’Afrique change. Quand j’ai commencé à écrire, l’accueil n’a pas été chaleureux en Afrique. On a estimé que je faisais une littérature mineure. C’est après seulement qu’on s’est aperçu que ma littérature était beaucoup plus majeure que celle de 99, 99% d’hommes africains. C’est dire que nous les femmes, nous devons nous battre dix fois plus, nous justifier dix plus.

Ce peu de résultat n’est-il pas caractéristique du fait que les femmes en Afrique ont plutôt des préoccupations existentielles ?

Les femmes ont des préoccupations existentielles pas seulement en Afrique mais dans l monde entier. Parce qu’elles ont beaucoup de soucis. Elles ont le souci des enfants, le souci de se soigner, le souci de s’habiller…et en général, la femme contrairement à l’homme – même dans le couple le plus libéral qui soit – n’abandonnera pas son enfant malade pour aller travailler. Effectivement, il conquérir le social en gardant la prédominance dans le foyer. C’est pour cela que je n’ai jamais voulu que les femmes africaines singent les Occidentales qui ont des soucis d’hommes ; elles ne font plus d’enfant. Margaret Thatcher, dans la gestion de la chose publique en était la caricature. Il faudrait que les femmes aient la juste attitude. Qu’elles soient bien coiffées et maquillées, qu’elles continuent à faire des enfants tout en gérant la cité. Il ne faudrait pas qu’elles abandonnent certaines de leurs fonctions, le foyer. Non. Nous avons une puissance spirituelle, nous avons une puissance morale pour gérer et la cité et le foyer.

Comment, alors, les femmes du Continent peuvent-elles s’approprier le combat pour plus d’efficacité ?

Déjà, il faut canaliser les rancœurs des femmes à l’égard d’elles-mêmes. Parce que le problème des femmes c’est les femmes elles-mêmes. On parle d’excision mais ce sont des femmes qui la pratiquent. Je ne suis pas du tout de gauche. Pourtant à l’élection présidentielle française, j’ai voté au second tour pour Ségolène Royal pas parce que je croyais qu’elle était extraordinaire, mais parce qu’elle est une femme. Et je souhaiterais que partout les femmes aient ces réflexes corporatistes pour faire avancer leur cause. Que des femmes aident d’autres femmes. Souvent beaucoup de femmes prennent d’autres femmes pour des rivales. Plutôt de créer de la solidarité, cette rivalité sournoise empêche les femmes d’évoluer. Si toutes les femmes votaient pour une candidate, celle-ci gagnerait cette élection haut la main. Les femmes doivent adopter une démarche citoyenne et responsable. Quand on fait évoluer une femme, on fait évoluer chaque cause à l’intérieur-même de son foyer même si on n’est pas politique.

La stigmatisation de la discrimination à l’égard de la femme ne contribue-t-elle pas davantage à son renforcement ?

Bien au contraire. Plus on en parle, plus les femmes prennent courage. Elles en veulent, elles veulent s’en sortir. Pour devenir ce que elles veulent devenir et non subir le destin qu’on leur a tracé. Le silence contribuerait à maintenir le statut-quo.

L’Afrique est décrite comme le continent où sévissent les dictatures. Pourtant, l’un de ses Etats est présidé par une femme…

Malgré les scepticismes et pessimismes ambiants, je demeure convaincue, et ce depuis toujours, que l’Afrique est le poumon et l’avenir de l’humanité. Je sais que l’Afrique donnera l’exemple d’un développement différent et d’une évolution différente. Nos frères du Libéria ayant vu les limites des hommes ont confié leur destin à une femme. Et depuis l’arrivée au pouvoir de cette dame, le Libéria est entré dans le concert des nations non seulement évoluées mais aussi civilisées, parce que pour moi, la civilisation n’est pas seulement liée au développement économique mais elle est aussi le fait d’un développement intellectuel et spirituel des peuples.

L’actualité en Afrique est nourrie de crises à répétition, notamment au Soudan, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Zimbabwe. Faut-il désespérer de ce continent ?

Les gens ont souvent une lecture des peuples. L’histoire des civilisations des peuples ne peut se faire à court terme. C’est une affaire de siècles. Or, l’histoire de l’Afrique moderne a commencé il y a cinquante ans. En 2010 nous allons célébrer ces 50 ans. C’est très court comme période pour justifier tout ce qu’on dit. A 50 ans, un homme est encore jeune. A 50 ans, un peuple est un bébé. C’est un peuple en balbutiements, qui essaie d’organiser son système, en nation. A partir de là, moi je dis à tous qui disent que l’Afrique a échoué qu’ils ne savent pas lire. L’Afrique a fait vraiment des progrès extraordinaires par rapport aux autres civilisations. Quand les Européens quittaient l’Afrique, ils ne nous pas laissé grand-chose. Ils n’ont pas laissé beaucoup d’intellectuels. Ils n’ont pas laissé e routes ni d’hôpitaux. Il faut quand même dire la vérité. En cinquante ans, l’Afrique a formé des intellectuels de haut niveau, de renom. De grands médecins, savants, historiens, ingénieurs, écrivains… Il y a eu un couac en Côte d’ivoire avec cette histoire d’ivoirité. Mais le peuple ivoirien est un peuple extraordinaire, brillant et intelligent qui va se ressaisir et reconstruire son pays. Et il va le faire, le peuple ivoirien. Combien de couacs beaucoup plus graves ont traversé les pays occidentaux avant d’arriver à ce calme apparent ? Les guerres en Occident, il y en a eu combien ? Il y en a toujours d’ailleurs. Ils ont toujours leur ventre mou notamment la Croatie. Les plus grandes guerres n’ont pas été faites en Afrique, elles ont eu pour théâtre l’Occident. Il faut que les Africains arrêtent de s’auto-flageller. Effectivement, nous avons encore quelques à faire, au niveau économique et politique et nous allons le faire. Donc il n’y a aucune raison de désespérer du cas de la Côte d’Ivoire. C’est un pays extrêmement riche avec un potentiel énorme dont une jeunesse qui est là, qui arrive. A moins d’aller du principe que les Africains sont des imbéciles, connaissez-vous un peuple qui a coulé son pays ? on a connu des guerres, même en France, on connu des meurtres inqualifiables. La guillotine pendant la révolution française, qu’est-ce que c’était ? Napoléon, qu’est-ce que c’était ? Un dictateur ! A la moindre chose concernant l’Afrique, il y a un grossissement de tout, une amplification qui donne des complexes aux Africains et les empêchent d’avancer. L’Afrique, de mon point de vue, s’est beaucoup développée en cinquante ans. Il y a des universités d’Etat, des écoles. Aujourd’hui, un jeune africain peut très bien suivre sa scolarité en Afrique, avoir un très bon niveau sans jamais mettre les pieds en Occident. Et alors ? Connaissez-vous des peuples qui ont fait autant en cinquante ans ? Moi, je n’en connais pas. On ne lie pas l’histoire d’une nation sur un demi-siècle. C’est une absurdité.

D’aucuns accusent les intellectuels africains d’être la cause des problèmes de l’Afrique, notamment quand ceux-ci entrent en politique…

Ce sont des gens abscons et obstrus. Il faut toujours que les intellectuels soient dans une nation, car ils apportent un éclairage et une vision que les politiques n’ont pas forcément. Moi, je raisonne sur l’Afrique sur mille ans, le politique lui raisonne sur six mois. On ne peut pas concevoir une nation à court terme. Or le politique le fait. Il y a des élections, je gagne ou je perds. Et il va colmater quelques brèches pour gagner. Un point c’est tout. L’intellectuel va se dire, en posant tel acte ou en réfléchissant dans tel sens, nous allons obtenir des résultats dans dix, dans quinze ans. D’où l’intérêt dune association, d’une coordination équilibrée entre le politique et l’intellectuel pour qu’un pays fonctionne. En Occident, est-ce que les intellectuels sont loin du pouvoir ? Et non, ils sont toujours très présents. Ici en France, Il y a un livre qui vient d’être publié sur moi dans lequel on dit que j’avais modifié la société française. Eh bien oui ! Pourtant, je ne suis pas une femme politique.

Et comment ?

Tout simplement sa place au sein d’elle-même. J’ai fait comprendre à la France qu’elle n’était pas monocolore, unicolore et mono-culturelle. J’ai fait comprendre à la France qu’elle était multiraciale, multiculturelle.

Donc à la France de se redécouvrir ?

C’est cela le rôle d’un intellectuel. Percevoir différemment afin que la politique soit réorganisée différemment. On est gênant, je le reconnais. Parce qu’on bouscule les acquis. on empêche les politiques de faire leurs manigances en toute tranquillité. On peut nous jeter des pierres, nous injurier en passant. Mais, on est là pour dénoncer. Moi, je travaille sur l’identité sur vingt ans. Sinon cela n’a aucun intérêt. Nous aidons les politiques à mieux faire à travers nos perceptions. Peut-être nous ne sommes pas capables de les mettre en application. Parce qu’il y a justement l’idéologie et la pratique. C’est ensemble, intellectuels et technocrates, qu’on arrive à construire une société équilibrée. Il ne faut pas ni exclure les uns, ni exclure les autres.

Est-ce donc cette positivité qui vous a conduit à prendre une position favorable plutôt favorable, dans la Plantation, au régime zimbabwéen à un moment où il était voué aux gémonies, puisque votre héroïne soutient la cause nationale ?

Ma position est simple. Elle est universelle. On ne peut pas dire qu’on est africain parce qu’on noir. On ne peut pas dire qu’on est Européen parce qu’on est blanc. On dit qu’on est Européen parce qu’on a une culture européenne. On dit qu’on est africain parce qu’on a une culture africaine. Il faut que l’Afrique qui est une grande dame apprenne à tolérer. On ne peut pas chasser d’un pays des personnes qui sont là depuis des siècles parce qu’elles blanches. L’Afrique doit se faire forte d’une moralité inébranlable. L’Afrique n’a jamais été un continent où on tue des gens, en dehors du cas du Rwanda qu’on peut déplorer, on n’a jamais tué des gens en Afrique en fonction de leur couleur de peau ou de la couleur de leurs yeux. L’Afrique n’a jamais développé des idéologies de rejet, d’exclusion, d’extermination et de ségrégation. C’est un bel héritage que nos ancêtres nous ont légué et que nous devrions préserver. L’Afrique a toujours accueilli l’Etranger avec amour. C’est une grande force. Malgré les difficultés que traversent nos différents pays, il nous faut garder cette valeur. C’est notre élément de supériorité sur le reste du monde. Un élément de survie de morale, de grandeur pour l’humanité. L’Afrique est un continent humaniste. Elle l’a toujours été. Il faut qu’elle garde cette humanité, quoi qu’il advienne. L’Afrique n’a pas à se salir pour trois à quatre Blancs qui viennent y vivre. Qu’est-ce que cela chance dans l’histoire de l’humanité? Rien ! Cela rendrait l’Afrique plu pauvre ? Pas du tout ! Pour l’instant, on n’a même pas commencé à exploiter le potentiel des richesses africaines. Qu’est-ce que cela lui coûte que deux ou trois Blancs viennent s’installer en Afrique? Ils sont Africains, tant mieux pour eux. Regardez, ceux qui ferment leurs frontières sont entrain de crever de leur propre égoïsme.

Justement que vous inspire en tant qu’Africaine, noire et immigrée, la politique d’immigration actuelle des autorités françaises, qui enferme la France sur elle-même ?

C’est triste pour la France. Et ça la tuera. Par contre, c’est une très bonne chose pour l’Afrique. Je vous dis pourquoi. Je ne suis pas pour que les jeunes africains immigrent en France. Quel intérêt ? Venir balayer la France ? Avoir froid ? Ne pas savoir où dormir ? ne pas avoir à manger ? Être traité de sales nègres dans les rues ? Ça n’a aucun intérêt. L’Afrique est assez vaste pour accueillir nos enfants qui ont envie de voyager. Notre continent est quatre plus grand. Avec un minimum d’infrastructures, c’est la terre la plus riche au monde. Si nous allons vers les Etats-Unis d’Afrique auxquels je tiens beaucoup, nous avons de telles richesses qu’il va nous manquer de la main-d’œuvre très rapidement. Mais est-ce que les Africains ont conscience que l’Afrique sera sauvée par les Etats-Unis d’Afrique ?

Très peu très probablement !

Voilà la différence entre les intellectuels et les politiques. Parce que les politiques africains veulent avoir la mainmise sur leurs peuples pour continuer piller en toute impunité leurs pays au profit de leurs familles respectives. Un dirigeant africain qui aime son pays, doit déclarer qu’il y ait les Etats-Unis d’Afrique. Parce qu’à partir de là, on n’aura besoin de personne pour nous développer. On n’aura besoin de personne pour quoique ce soit.

Quelle a été donc votre réaction suite à la guéguerre, par médias interposés, faite au président libyen lorsqu’il a été porté à la présidente tournante de l’Union africaine ?

J’ai défendu le président Kadhafi parce qu’il a une vision que je trouve très juste de l’Afrique des États-Unis d’Afrique. C’est la seule vision pour sortir l’Afrique du sous-développement. Il n’y en a pas d’autres. Comment voulez-vous qu’un petit pays comme le Gabon, la Centrafrique ou le Cameroun puisse négocier avec les États-Unis d’Amérique ? La seule possibilité pour le faire, c’est de constituer un grand bloc. Aujourd’hui, il y a des grands blocs. Il y a le bloc européen, le bloc asiatique, le bloc américain. Il faut le bloc africain. Et ce bloc africain, c’est les États-Unis d’Afrique. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons équilibrer les rapports de force avec les autres. Or, certains chefs d’Etats sachant que demain ils ne pourront plus s’approprier les richesses de leurs pays sans risquer d’avoir à rendre des comptes, s’opposent à la création des États-Unis d’Afrique, un pays avec 53 Etats et un organe central. Ils fonctionnent par seul égoïsme in-di-vi-duel. Je dénonce ces chefs d’Etas là.

Il n’empêche que les peuples africains n’ont pas toujours conscience de ce fait.
Parce que les télévisions et les radios n’en parlent pas. Vous savez très bien que les télévisions et les radios dans beaucoup de pays d’Afrique sont sous domination des présidents. Par conséquent, les médias n’informent pas, n’indiquent aux peuples que voilà la route pour sortir de la crise, du sous-développement. Ces présidents ne veulent pas, parce qu’ils vont perdre, automatiquement, leurs pouvoirs. Ils n’ont guère le souci de leurs peuples ni celui de leur avenir. Ils disent, « on va voir ça en 2025 ». Pourquoi ? Pace qu’ils seront déjà morts, eux.

Le président français, Nicolas Sarkozy, promeut une politique dite « d’immigration choisie » que d’aucuns assimilent volontiers à une nouvelle forme d’esclavage. Qu’en dites-vous ?

Je dis que je m’en fous ! Si les Africains veulent se laisser choisir, c’est leur problème. Vous savez, il y a des déclarations et des déclamations qu’on peut faire et qui n’ont pas beaucoup de sens. Celle-là n’en a pas. Avez-vous vu beaucoup d’Africains avec leurs diplômes faire la queue devant les consulats français pour venir en France ? Non ! Eh bien alors ? C’est un non-problème, une non-solution, une non-proposition. C’est une absurdité absolue. Vous croyez-vous que les Africains les plus brillants vont venir se mettre en rang pour être choisis? Il faut avoir un peu de respect pour le peuple. Ils ont été demander aux simples élèves africains de terminale s’ils voulaient venir étudier en France, ils n’ont eu que 2% de réponses positives par classe. Les 98% ont dit, je vais en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud ou au Canada. Et vive l’Afrique.

Vous militez également et dans le cadre de Collectif Egalité, pour les droits de minorités visibles en France, quel diagnostic faites-vous de la situation en la matière ?

Mi-figue mi-raisin. Cela fait plus de dix ans que nous menons ce combat. Il Harry Roselmarck à la télévision, des femmes comme Rama Yade, Rachida Dati sont issues de ce mouvement là. Nous continuons le combat. Il avance très lentement parce que comme je le disais tantôt, la France se voyait monocolore et non multicolore, mono raciale et non multiraciale. Je ne regrette pas d’avoir mené ce combat et d’avoir redéfini l’identité de la France. Parce que ce à quoi cela a abouti, c’est la redéfinition identitaire. C’est-à-dire, sans remettre en cause le socle constitutionnel, on a rajouté à ce socle d’autres nouveaux éléments qui font sa diversité.

Comment entrevoyez-vous la situation de ces minorités à court, moyen et long termes ?

A court terme, elle va évoluer très lentement. A long terme va gagner parce qu’il y a la mise en place d’un certain nombre de choses qui permettrait l’évolution ; certainement pas avec ma génération mais avec celle de ma fille et de ses enfants et on trouver de vrais ministres venus de l’étranger. On va très rapidement et effectivement trouver de vrais hommes politiques issus de l’immigration et non des Afro-français comme c’est le cas en ce moment. Ce sont des Africains qui sont là et ont développé une culture à la fois intellectuelle, linguistique, architecturale et même culinaire. Il y a donc une nouvelle culture en France qui est générée par ceux qu’on peut appeler des Afro-français. Cette culture va devenir de plus en plus présente dans la société française et la société française est entrain de beaucoup évoluer dans ce sens là. Il n’y a qu’à voir les choses qui touchent au métissage génétique. Il y a effectivement un souci pour quelques responsables aussi bien politiques qu’industriels par rapport à la représentation, en leur sein, de la diversité ethnique de la France.

Votre commentaire sur l’élection de Barack Obama en tant que 44è président des États-Unis d’Amérique ?

J’en ai été très heureuse, vous imaginez bien. Mais cela ne signifie pas du tout que les États-Unis ont changé. Je constate tout simplement qu’il y a eu une forte mobilisation de toutes les minorités aussi bien noire, asiatique, hispanophone qu’homosexuels…Ils ont tous voté, unanimes, comme un seul homme pou Obama. C’est pour cela qu’Obama gagne en réalité. Donc il y a eu une prise de conscience réelle et c’est bien pour les États-Unis parce que cela change l’image du pays. Après huit ans de carnage de Georges Bush, Obama est une bénédiction pour les Américains. Il donne un nouveau dynamisme au pays. Il a changé le regard hostile que le reste du monde avait sur les États-Unis. C’est un regard plus acceptable, plus tolérant, plus lumineux d’ailleurs, pour le peuple américain. Je n’ai jamais pensé que c’est un Africain puisque, malgré tout, il est d’abord le président des Américains. Les États-Unis est un pays de prédateurs et même avec Obama, ils vont continuer à avoir des attitudes de prédateur.

Que l’Afrique peut espérer de cette élection ?

Rien. C’est le président des Américains. Il est temps que les Africains l’apprennent. Il va d’abord servir son peuple avant de faire des petits coudes. C’est tout à fait logique.

1 heure et demie, le vol le plus long de ma vie

C’était un après-midi de juin. J’embarque à Milan-Malpensa sur un vol d’une compagnie low-cost à destination de Paris-Charles de Gaulle. Je prends place à l’arrière sur le siège-fenêtre, à quelques mètres de l’aile droite de l’avion. J’aime particulièrement voyager en regardant le paysage. Mais j’aime par-dessus tout, observer les mouvements de déploiement des ailes de l’aéronef en phases de décollage et d’atterrissage. Comme si, à défaut d’être à l’intérieur de la cabine de pilotage, ces mouvements me renseigneraient sur les éventuelles difficultés que pourraient rencontrer l’avion en vol. A peine ai-je rangé mon sac à dos sous le siège avant comme le recommandent les hôtesses et stewards, qu’une jeune personne à la silhouette de mannequin se poste près du siège-couloir à ma gauche. Celle-ci range délicatement sa valisette dans le coffre au-dessus de sa tête puis, en s’asseyant, pose sur le siège qui nous sépare, une pile de journaux et magazines et m’invite à les lire aussi si tel est mon vœu.
En observant les unes, mon regard est attiré par un article relatif à la Ligue du nord, parti raciste et xénophobe. Je tire ce quotidien, tourne les pages, lis et relis l’article en question. Ma lecture terminée, je parcours les pages restantes à la recherche d’un autre article digne d’intérêt. Hélas ! Je repose le journal, prends au hasard un second, un troisième. Puis, je m’intéresse à un premier magazine, un second, un troisième. Je les trouve, les uns après les autres, insipides. Tous ne traitent que des frasques des hommes politiques et VIP. Ces Very Important Personalities sont les stars du petit écran et tous ceux qui, pour avoir remporté une téléréalité, ont vu leur statut économique passer de la disette à l’extrême abondance. Au pays de la pasta et de la pizza, rien qu’une petite victoire, le plus souvent obtenue au prix d’une triche sans nom, et l’on se retrouve du jour au lendemain multimillionnaire. Casalinghe traînant l’ennui quotidien en compagnon, operaie esseulées et ragazzine rêveuses sont friandes de ces émissions et contribuent à coup de sms, à financer ces énormes cagnottes ainsi que les somptueux émoluments des présentatrices.
Je reprends donc mon tout premier quotidien. Je lis et relis l’article susmentionné. Puis me vient l’idée de prendre des notes. Je viens de trouver le thème de ma prochaine chronique. Je sors de la poche poitrine de ma chemise, le billet du bus qui m’avait conduit à la gare de train, trois heures plus tôt. Je note donc le nom et la page du journal, les titres et auteur de l’article pour faciliter mes recherches, à mon retour de Paris.
C’est alors que ma généreuse voisine de siège me lance :
- Mi scusi, mà ha un modo strano di leggere il giornale ! Tutti non lo fanno cosi. Excusez-moi, mais vous avez une drôle de lecture des journaux! La plupart des gens ne les lit pas de cette façon.
- Come mai? Et comment ça ?, je lui rétorque.
- Ha letto al meno cinq volte lo stesso articolo. Ora, sta notando non so cosa? Vous avez lu le même article au moins cinq fois. Et voilà, à présent, vous êtes en train de noter, je ne sais quoi ?
J’ai compris, en un quart de tour, qu’elle voulait causer. Mais, j’étais plutôt sur mes gardes. Parce que j’ai appris, depuis le temps que je vis à coté des toubabous, chez eux, qu’ils sont un concentré d’hypocrisie et de mauvaise foi. Néanmoins, je lui réponds :
- Faccio il giornalista. Je suis journaliste.
- Qua, in Italia? Ici, en Italie?
- Non mi far ridere ! Qua in Italia, un immigrato di colore fare il giornalista? Ne me faites pas rire! Un immigré noir exercer le métier de journaliste?
- Da quanto tempo è in Italia? Depuis combien de temps êtes-vous en Italie ?
- Quasi cinque anni. Presque cinq ans.
- Quindi, che lavoro fa? Donc, quel travail faites-vous?
- Ho lavorato di quà di là, a fare il bidello, l’operaio alimentare o metalmecanico, l’adetto alle pulizie e che ne so ancora… J’ai travaillé ici et là, faisant le technicien de surface, l’ouvrier dans l’industrie alimentaire et métal mécanique et que sais-je encore…
- Mi dispiace, ma perché è venuto qua visto che ha studiato molto? Je suis désolé, mais qu’êtes-vous venu faire ici vu que vous avez fait de grandes études?
- Per amore. Par amour.
A cet instant précis, je l’ai crue sourire mais elle étouffa son sourire. Alors, j’ai eu une soudaine envie de lui crier que :
- Elle avait bien raison de se moquer de moi,
- Je n’en avais rien à foutre,
- J’avais à terminer mon initiation à la vie,
- J’avais choisi d’écrire ma Légende personnelle, ce dont elle et bien de ses compatriotes n’en étaient capables….
Mais, je n’en ai pas eu la force. A présent, je la regardais, droit dans les yeux, comme si je voulais tirer de ces pupilles dilatées par cette curiosité mêlée de complaintes, la réponse à sa propre question. Je me suis tu.
Puis, la voix du commandant de bord a retenti : nous allons entamer notre descente sur Paris CDG.
J’ai jeté un coup d’œil par dedans l’hublot. Je voyais deux étendues jaunes et vertes défiler, les unes succédant aux autres. J’ai su plus tard que c’étaient des champs de foin et de maïs.
L’avion s’était posé et roulait doucement vers le terminal pendant que la chef de cabine nous disait d’une voix suave au revoir dans les trois langues d’usage : français, anglais et italien. Ma voisine ne disait plus rien. Moi non plus d’ailleurs. Elle ne me daignait même pas un regard. Moi, je la surveillais du coin de l’œil.
La porte s’est ouverte, les passagers ont commencé à débarquer. Je restais là, assis à ma place en train d’observer ce gentil vacarme. Tout le monde sorti de l’appareil, je me suis levé, ai endossé mon sac et me suis dirigé vers la porte. Le personnel de bord était réuni là, à ma droite et me souhaitait un excellent séjour parisien, à l’instar de mes compagnons de voyage.
J’ai marché d’un pas lourd du tunnel vers l’aérogare. A cette période-là, la grippe A s’était invitée dans tous les pays. Il fallait zigzaguer dans le tunnel pour sortir. Au dernier tournant, je tombe à pic sur ma voisine. Elle me sourit. Je lui rends son sourire. Puis, elle me dit : «Le auguro un buon ritorno in Italia ; magarri, ci revederemo. Moi, j’ai répondu : Anché a lei e Grazie di tutto.
Je n’avais pas de bagage en soute. Je me suis précipité vers la gare RATP logée au cœur même de l’aéroport. J’ai acheté mon ticket pour Chaville rive Droite via Paris.
Je n’étais pas au bout de mes peines. Pour la première fois depuis mes six allers et retours en six mois, le trajet sera le plus long. Sept heures pour parcourir une trentaine de kilomètres. Des manifestants avaient décidés de perturber le trafic ferroviaire en Île de France et s’étaient installés sur les voies.

Par Jacques POWPLY

Qu’est-ce qu’on a rêvé !

147 millions d’euros. Tel était le montant de la cagnotte du SuperEnalotto italien qui a fait tant rêver aussi bien la péninsule que la planète entière, en ce mois d’août. Des parieurs venus des quatre coins d’Europe et même des Etats-Unis d’Amérique aux nationaux, dame Fortune a donné ses faveurs à un illustre inconnu local de la petite commune de Bagnone en Toscane, au sud de l’Italie. Dès le tirage le soir du samedi 22 août, le maire et ses 2 000 administrés moins deux, ont fait la fête jusqu’au lendemain. Personne ne s’était alors déclaré comme étant l’heureux vainqueur de la vertigineuse cagnotte. Mais les habitants craignent que cette annonce de la loterie italienne ne soit un canular. Pour cause, chacun, autant qu’ils sont, a dressé une liste de cadeaux qu’il espère recevoir du nouveau fortunato. Il sindaco, le maire lui-même l’invitait à faire des piccoli investimenti de plus d’un million d’euros pour la municipalité. Un septuagénaire attendait qu’il lui offre una piccola casa et una macchina. Un autre se voyait remettre un million d’euros qui estimait une goutte d’eau dans un océan de 147 millions. Et ils ne sont pas les seuls à rêver. Loin de là.
La perspective de décrocher cette manne plutôt démoniaque que céleste a fait tourner la tête à plus d’un. Telle, cette quarantenaire compatriote et amie qui a joué pour la première fois de sa vie à la loterie. Après chaque tirage infructueux, elle remettait cela, attendant avec fébrilité, le prochain tirage et élaborant un plan de dépenses tout aussi hallucinant que le montant du gain. Une résidence aux allures de château dans sa ville natale où elle rassemblerait l’ensemble des membres de sa grande et nombreuse famille, laquelle est pour l’essentiel composée de tantes veuves et sans la moindre ressource. Un immense et luxueux palace au cœur même d’Abidjan dont les loyers lui confèreraient une confortable rente pour le reste de la vie. Elle avait d’ailleurs estimé sa longévité à 66 ans, je ne sais encore pour quelle raison. Des cars pour révolutionner le transport entre son village et sa sous-préfecture, jetant à la périphérie voire les contraignant à une retraite anticipée, ces tyranniques et arrogants transporteurs dioula et leurs épaves de véhicules. Des placements sûrs dans les meilleures des banques à des taux d’intérêt jamais inégalés. Elle concluait chaque jour, qu’elle n’avait pas besoin de voiture de luxe et qu’elle se contenterait de son côyô-côyô actuel qu’elle expédierait à sa suite. Qu’elle exercerait encore un an comme auxiliaire de vie et s’en retournerait couler des jours heureux entourés des siens, dans son pays. Car, elle en avait assez de ses seize ans d’Italie. «Un pays aussi ennuyeux qu’un cimetière », disait-elle.
Moi aussi, j’y suis allé de mes rêves. A la différence que je les retournais dans ma petite tête. Une sorte de revanche sur le destin qui m’a fait une queue de poisson en m’emmenant ici au moment le plus inopportun. Je rattraperais l’argent et le temps perdus à me chercher en Europe…
Et, la sentence est tombée. Dame Cagnotte a préféré un quidam qui n’avait point cru en elle. Il avait fait son pari à 18H30 le jour même, soit une heure et demie avant le tirage. D’ailleurs croit-il toujours en elle ? Plus de quarante-huit heures après l’annonce des résultats du tirage, il ne s’était toujours annoncé.
Pour moi comme pour beaucoup d’autres parieurs de circonstance, deux enseignements s’imposent au terme de cette palpitante expérience. D’abord, celle-ci vient de montrer une fois encore le pouvoir des medias. En faisant leurs choux gras de cette cagnotte exceptionnelle, les medias ont sans s’en douter fait croître le nombre de parieurs. Puis, il y a la force du rêve qui fait vivre et espérer en des lendemains meilleurs, malgré les frustrations et les adversités. Ne dit-on dit pas chez nous, « ça va aller ! », pour aider son prochain à sortir d’une mauvaise passe ? La consolation du fils du pauvre prend désormais toute l’ampleur de sa signification.

Par Jacques POWPLY

Soro Solo, coproducteur de l’émission L’Afrique enchantée sur France Inter: «La radio doit être le moyen de porter les choses que nous aimons et les défendre».

En 1993, Soro Solo s’adjuge le prix Ebony organisé par l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI). Seize ans plus tard, se retrouve de nouveau sous les projecteurs en France. Il décroche avec son complice Vladimir Cagnolari le Grand prix 2009 du concours des producteurs de radios francophones. Afrique Compétences a retrouvé, pour vous, ce journaliste et animateur de radio ivoirien qui a quitté son pays sur la pointe des pieds dès l’aube 2003. Evocations…
Par Jacques POWPLY (Interview publiée dans l’édition internationale du Magazine panafricain Afrique Compétences n° 2)

Après un Ebony en Côte d’Ivoire, vous étrennez le Grand prix des radios francophones en juillet 2009, en France. Entre ces deux distinctions, il s’est passé beaucoup de temps et de choses. Alors, comment recevez-vous cette nouvelle reconnaissance ?
Qui qu’on soit, dès l’instant où on reçoit une reconnaissance pour son travail, on éprouve avant tout du plaisir. On se rend compte que le travail qu’on fait reçoit non seulement un bel accueil des auditeurs mais aussi qu’il est reconnu des professionnels comme étant un travail de qualité.

Avant la reconnaissance, il avait fallu faire acte de candidature. Quelle a été l’originalité de votre sujet au regard du thème proposé cette année ; immigration et intégration?
Vladmir Cagnolari et moi qui sommes les coproducteurs de l’émission «L’Afrique enchantée» sur France inter, avons intitulé notre élément « Sur les pas de mon père » pour proposer une autre grille de lecture sur la problématique de l’immigration à travers des enfants issus de l’immigration qui retournent dans le pays d’origine de leur père. Ce qui leur permet de voir les deux faces de la médaille.

Lesquelles ?
Il s’agissait de montrer à ces enfants la manière dont ils sont perçus ici en France et dans le pays de leur père, en l’occurrence le Mali.

Et comment sont-ils perçus ?
Ils se rendent compte qu’ils sont pris entre le marteau et l’enclume, comme le dirait-on en français et langue bambara, ils sortent de la poêle à griller pour se retrouver dans le foyer où se trouve le feu. Parce que ces enfants –là – les pauvres – sont considérés de part et d’autre comme des étrangers, donc venus de l’ailleurs : fils d’immigré en France, fils d’émigré dans le pays d’origine de leur père, dans leur famille. Au Mali, ils pensent être chez eux mais on leur dit « Oh, Petits français-là !» ; tandis qu’en France, on leur crie « Blacks, rentrez chez vous ! ». Il faut qu’ils gèrent cela psychologiquement ou qu’ils aient des arguments pour avoir de la répartie lors qu’ils se retrouvent dans une discussion agressive. Ils doivent donc avoir une belle force psychologique pour gérer un statut de métissage culturel et de rejets de part et d’autre.

C’est donc cela qui aura séduit les jurés ?
Si on s’en tient aux commentaires publiés par la presse, les jurés ont été séduits par la manière dont le sujet a été traité. C’est-à-dire, toucher un sujet grave, hypersensible, sans tomber dans les schémas récurrents, classiques ; du genre : «les immigrés souffrent, ils sont maltraités dans les pays d’accueil, la police les maltraite ou encore ils souffrent dans les bureaux pour obtenir des papiers ». Sans non plus présenter l’immigration comme la panacée pour beaucoup de gens : ça leur permet de gagner de l’argent pour le renvoyer dans leurs pays d’origine et construire là-bas des projets. Toutes ces choses ne sont pas à évacuer. Non ! Mais le jury a apprécié une sorte d’originalité, consistant à utiliser un autre canevas, l’expérience d’un enfant qui est issu de l’immigration et à travers cet enfant, aborder ces différentes facettes de l’immigration. Il a apprécié aussi le fait de traiter un sujet aussi sensible avec un zeste d’humour et pas mal d’éléments d’information.

Cela dit, comment rentre-t-on à France Inter en quittant une radio de pays africain, notamment celle de la Côte d’Ivoire ?
Autant que nous sommes, il faut avoir confiance en soi. Sans prétention abusive et négative. Je veux dire que si les centres d’intérêt que nous avons les uns les autres en tant que journalistes, rencontrent ceux des auditeurs, téléspectateurs ou lecteurs ; où qu’on soit, en Afrique ou ailleurs dans le monde, une porte va toujours s’ouvrir à nous. Cela prend du temps, mais les sujets qu’on voudrait proposer auront toujours un écho favorable auprès d’un directeur ou un responsable de média bien que le monde des média soit l’un des secteurs les plus saturés en matière d’emploi. Pour preuve, le Pôle emploi qui est un organisme d’Etat refuse de financer des bribes de formation comme si c’était de l’argent jeté par la fenêtre.

Cependant, il aura fallu quelque chose pour faire la décision, si ce n’est un coup de pouce ?
L’essentiel, à mon avis, est dû à la compétence et à la persévérance personnelle. Plutôt que de se résigner en se disant que de toute façon les Noirs sont marginalisés et discriminés, j’ai décidé de prendre mon destin en main en actionnant les contacts professionnels que j’avais noués dans le milieu des média internationaux du temps où je travaillais encore à Radio côte d’Ivoire et soit dit en passant, j’avais déjà un numéro d’immatriculation à Radio France Internationale. En France, j’ai bénéficié de beaucoup d’amitiés, je le reconnais, de la part de tous ces confrères qui m’ont connu comme producteur de radio en Côte d’Ivoire et du fait que la presse française avec repris certains de mes sujets depuis l’Afrique, tout cela a été en ma faveur. J’ai bénéficié surtout d’un soutien inestimable d’un ami, Vladmir Cagnolari avec lequel je produis aujourd’hui L’Afrique enchantée qui m’orientait dans ma quête d’emploi. J’ai bénéficié également des amitiés d’Olivier Barnet et Gérard Arnaud de Africulture.
Depuis Radio Côte d’Ivoire, je faisais des sujets en France, en Allemagne, au Canada, en Belgique. J’étais également immatriculé à Radio France. Donc, quand on se retrouve en France dans la précarité comme c’était mon cas – mes trois premières années ont été une vraie galère en tant que pigiste– ce sont des outils qui aident à ouvrir les portes
Je m’intéressais également et plus particulièrement aux choses de l’underground dans le champ culturel. Cette curiosité que j’avais d’aller voir cette pépinière, cette vie culturelle et artistique des profondeurs de la cité qui n’était pas encore dans les vitrines, m’a nourri et enrichi. Je pense modestement que cela me permet d’apporter régulièrement du neuf aux sujets que je veux traiter. C’est cela qui a été déterminant. Cependant, je n’ai pas atterri directement à France Inter en débarquant en France. D’abord, j’ai commencé par Radio Nova. Arrivé avec mon africanité à Paris, je suis allé voir Jean-François Biseau en lui disant « je veux parler de l’Afrique qui gagne en Europe parce que y en a marre de « l’Afrique des balayeurs ». Je veux parler des Africains qui réussissent. J’ai cité mon compatriote Georges Momboye qui n’est parti de rien et qui aujourd’hui dirige une troupe de chorégraphies de 50 salariés dans le 2è Arrondissement. J’ai aussi cité Soum Bill qui venait d’organiser un très grand concert. J’ai encore cité un jeune Africain qui présentait à l’époque le journal sur I Télé. Jean-François m’a dit : c’est original. Nous avons un numéro spécial qui consacre une page à l’Afrique, on te la propose. J’ai écrit une chronique, une sorte de nouvelles que j’ai intitulée « Je vous écris de France ». Il s’agit du regard d’un immigré africain sur l’immigration. Celui-ci va raconter par courrier ses fantasmes et aussi ses déceptions à son cousin resté au pays, à travers les différentes étapes qu’il vit. C’est cette démarche faite de sujets originaux avec un regard africain qui a conquis Vladmir Cagnolari. Il nous a mis en studio, Binda Ngazolo et moi, et nous avons enregistré sept heures durant, les quatre décennies de la Côte d’Ivoire en les illustrant avec les musiques qui ont accompagné cette évolution sociopolitique. Et c’est de là qu’a germé l’idée de l’Afrique enchantée.

Cette Afrique enchantée, en quoi consiste-t-elle ?
Conter l’Afrique en utilisant la musique comme document. Je pense que c’est l’originalité de cette émission qui la classe, selon la Médiamétrie française, parmi les trois émissions les plus écoutées à cette heure-là le dimanche sur RTL, Energie et France Inter.

Mais, cette Afrique enchantée, est-ce une émission pour Soro et Vladimir, une émission pour les auditeurs de France Inter, ou une émission pour l’Afrique et les Africains ?
Cette France et ces français, dont je suis tombé amoureux il y a plus de vingt ans déjà, a une image dévalorisée, récurrente de l’Afrique pas du fait de leur ignorance mais parce que les média leur en imposent. C’est comme je suis dans une chaumière et je leur dis je vais vous raconter un peu de mon Afrique. Dans la rue, quelqu’un vient vers toi et crie « Eh, toi, tu parles africain ? » Toi, tu as envie de lui demander « Tu parles européen, toi » ? Voilà le genre de questionnements qui nous ont donné envie de parler aux auditeurs français. De ce point de vue, c’est une émission pour les Français.C’est aussi une émission pour l’Afrique, justement pour dire « Oh, ma grande Afrique, les gens croient que tu es un pays alors tu es un continent avec 53 Etats. Je voudrais te présenter à ceux d’ici pour qu’ils aient une autre grille de lecteur de toi… Et toi aussi, ma chère Afrique, tes enfants s’ignorent. Tout ce que je voudrais, c’est te présenter pour que tes enfants apprennent à se redécouvrir eux-mêmes ; puisque l’esclavage et la colonisation nous ont de façon insidieuse et machiavélique, amené à nous renier et à nous désapprouver. Les africains s’aiment pas eux-mêmes; donc en leur racontant la puissance, les savoirs et connaissances de l’Afrique, ils vont peut-être commencer à s’aimer. Ils pourront doucement et progressivement se débarrasser de ce vilain complexe d’infériorité. Donc cette émission est également pour l’Afrique, pour qu’elle arrête de se déconsidérer.

En bâtissant vos relations professionnelles depuis Abidjan, on aurait dit que vous prépariez consciemment ou inconsciemment votre futur départ pour l’Hexagone ?
Il n’y a rien de conscient. A un moment donné, j’étais devenu une sorte de ‘fixeur’ en rendant toujours disponible pour les confrères étrangers de passage à Abidjan. Savez-vous comment j’ai connu Jean-François Biseau ? En 1982, j’étais étudiant en France et je pars en décembre en vacances en Côte d’Ivoire. Je me rends à Radio nationale pour saluer mes collègues. Dès que je rentre, je tombe sur un monsieur en T-shirt blanc discutant avec l’un d’eux. Ce collègue le regarde avec un tel mépris que je me rapproche et demande à cet inconnu s’il avait besoin de renseignements. Il me répond qu’il cherche Mory Kanté. Je lui dis alors que je suis en vacances, donc libre et que je peux le conduire au chanteur le lendemain. C’est en ce moment-là que j’ai su que j’étais en face du directeur-fondateur d’Actuelles flanqué de son photographe Daniel Laimé.
Il a rencontré Mory Kanté, a fait ses interview et photos. Peu de temps plus tard, Mory Kanté devient une star internationale de la World music.
Deuxième exemple, Radio France International vient en Côte d’Ivoire en 1986 pour organiser le Prix découvertes RFI remporté par Antoinette Konan avec son titre Petit Kinkin. Parmi les producteurs se trouve Sylvie Coma, aujourd’hui rédactrice en chef de Charlie Hebdo. Elle faisait une émission en sur RFI intitulée Taxi-brousse et donc, elle cherchait des sujets de société. J’avais proposé un sujet que j’avais appelé L’envers du décor dans lequel je voulais descendre dans les bas-quartiers, tendre le micro à ces petites gens pour qu’ils racontent leurs histoires. Auparavant j’avais proposé une émission sur le langage de la jeunesse qui est le nouchi. Et mon patron de me répondre « Voyons Souleymane, c’est la rue qui doit s’inspirer de la radio et non l’inverse ! ». Sylvie Coma m’est présentée par une amie commune, Hélène Lee. Elle est éblouie par mes sujets sur le nouchi et les pagnes qu’elle diffuse sur RFI notamment dans Taxi-Brousse. Voilà comment je suis immatriculé à Radio France International, dès 1987.
En aiguillonnant donc une consœur de façon spontanée et désintéressée, je me suis ouvert des portes. Et ce sera ainsi avec l’Américaine Brook Vence, l’Allemande Francis Vielle, Francine Martens à Québec City, le japonais Hiro Yuki, sociologue et professeur d’université.
J’étais très disponible et curieux aussi d’aller à la rencontre de l’autre parce qu’on attend toujours l’étranger venu rendre visite chez soi.
Ce genre de réseau se construit petit à petit, un pas à la suite de l’autre ; et il faut avoir un esprit d’ouverture, ne mépriser personne, être disponible pour tout le monde sans tenir compte des origines, des couleurs ou d’intérêt surtout.

En définitive, la radio pour vous, est-ce une passion, un tremplin ou votre unique moyen d’expression ?
C’est ma passion, ma drogue, ma première amante, ma première épouse…
Pour nous autres qui sommes issus de milieux beaucoup trop modestes, nos parents n’étaient point à mesure de nous orienter vers des modèles, des métiers parce qu’eux-mêmes n’en savaient pas plus. Mais j’ai eu la chance d’avoir un poste de radio à la maison. Mon commerçant de père l’avait ramené d’un de ses voyages à la fin des années 50. J’étais fasciné par cette boîte à sons. J’ai été beaucoup marqué par les noms comme Constant de Medeiros, Ahmed Touré, Mamadou Berté. A 12 ans, je fréquentais l‘école catholique à Abidjan. Un jour, mon maître m’avais rendue ma copie en me disant, « Toi tu ferais un bon journaliste ». Ça été le déclic. Depuis ce jour, je me faisais appeler le journaliste. J’étais non seulement capable de rendre dans son intégralité et mot pour mot, le journal parlé que je venais d’écouter mais je m’amusais également à faire le commentateur sportif lors de nos matchs de football à l’école ou au quartier. Après mon échec au bac, je ne pouvais que passer le concours d’entrée au Studio école de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI). Mes parents avaient beau insister pour que j’en essaie plusieurs. J’ai refusé niet. J’avais eu raison, puisque j’ai été admis.

Alors que vous avouez être tombé amoureux des Français et de la France pendant votre formation à l’lnstitut National de l’Audiovisuel à Bry-sur-Marne et que des propositions enchanteresses vous auraient été faites notamment à RFI, vous décidiez de rentrer en Côte d’Ivoire…
Je n’avais qu’une envie, retourner dans mon pays. Je m’y sentais bien. Je m’y sentais plus utile. Les impôts des Ivoiriens m’avaient permis de venir faire des études en France et la seule façon de leur renvoyer l’ascenseur, c’était de rentrer et mettre au service de mon pays ce que j’avais appris.

Aujourd’hui, pourtant, vous avez fait le chemin inverse…
Bien malgré moi.

Pour cause ?
Ma vie était menacée en Côte d’Ivoire aux lendemains de la rébellion du 19 septembre 2002. Le 18 octobre 2002, nous sommes à l’enterrement d’une tante au cimetière de Williamsville. A 14H30, à peine ai-je quitté les lieux, les escadrons de la mort débarquent. Ils demandent « C’est bien l’enterrement des gens de Korhogo ? Oui, messieurs les agents. C’est bien la famille Gon Coulibaly ? Oui, monsieur les agents. Vos pièces d’identité. Et les deux personnes du groupe qui portaient le patronyme Coulibaly sur la pièce d’identité ont été abattues à bout portant devant le reste des membres de la famille qui parachevaient la tombe de ma tante.
J’ai compris ce jour-là que ma vie était menacé dans mon pays non seulement du fait que je suis un Coulibaly mais aussi parce que mon émission Le Grognon n’a pas fait que des amis notamment dans l’armée, la police et chez les fonctionnaires. Pour rappel, dès que la rébellion a éclaté, j’ai été interdit d’accès à la radio. Voilà la raison pour laquelle j’ai dû faire le chemin inverse pour recommencer ma carrière à zéro à plus de 50 ans passés.

Alors, quel regard vos confrères portent sur vous, journaliste venu d’Afrique ?
J’ai revu des confrères français qui me connaissaient depuis la Côte d’Ivoire qui me disaient « Tu viens faire de la radio ici ? Vas-y toujours! ». Du genre, « Ici, on fait de la vraie radio ! ». Certes, je caricature et puis, ceux-là ne constituent pas la majorité. Tous ceux qui au départ ont eu des attitudes un peu condescendantes, notamment des Africains, ont changé d’opinion dès lors que L’Afrique enchantée a pris des couleurs et eu de l’audience et que des grands magazines et journaux comme Télérama ou Le Monde ont commencé à me consacrer des articles.

Quel serait votre vœu le plus cher?
Que les radios africaines acceptent de rediffuser cette émission qui essaie de parler de l’Afrique autrement afin que les Africains apprennent à se connaître. Parce que les Afriques s’ignorent. Je vous cite deux anecdotes pour expliquer mon propos. Je me retrouve à Djibouti. Les enfants reconnaissant à mon faciès que je ne suis pas du coin me courent derrière criant « Eh ! L’Africain, tu viens d’où ? ». A un colloque de l’Unesco à Marrakech, j’entends de la bouche d’un confrère marocain « Nos amis de l’Afrique qui sont là avec nous.. » Je leur réponds simplement « Vous, sur quel continent êtes-vous ? ». Il y a une telle ignorance sur notre continent qu’une émission comme L’Afrique enchantée qui s’appuie sur le vécu historique, sur la contemporanéité pour raconter les peuples et leurs envies qui sont des envies universelles (on a tous envie de se soigner, se loger, se vêtir, s’éduquer), ne peut qu’être bénéfique. On peut à travers elle, véhiculer aussi nos différences et nos ponts communs. Les Afriques ont besoin de se connaître mutuellement. Nous recherchons un réseau de radios africaines et engagerons France Inter dans ce projet car cette émission permettra aux Africains de se redécouvrir.
Par ailleurs, nous souhaitons enregistrer cette émission dans un pays africain pour la diffuer à destination des Africains, notamment à travers ce réseau de radios africaines que je viens d’évoquer.

Y-a-t-il une différence à être producteur de radio ou journaliste en France et en Afrique ?
La principale différence, c’est qu’en France, la grande majorité des producteurs de radio ou les journalistes ont un contrat à durée déterminée. Cela les oblige à être plus performants, plus novateurs ; c’est un facteur émulateur. En revanche en Afrique, ce sont des fonctionnaires. Or la Fonction publique tue la créativité et le professionnalisme.

Quelle place occupe votre famille dans votre vie ?
Ma femme est ma seconde épouse après la radio. Je considère la radio comme l’outil pour porter les choses que nous aimons et pour les défendre. Mais j’avoue que j’ai eu beaucoup de chance. Ma femme m’a tout de suite compris ayant su que la radio était ma drogue. Nous nous sommes rencontrés quand nous étions en formation tous les deux. Elle était étudiante en médecine et moi je terminais mon premier cycle au Studio école de la RTI. Et nous nous sommes formés mutuellement.

Et vos enfants, comment vivent-ils la séparation, eux qui vivent aux Etats-Unis avec leur mère ?
Quand la fatalité s’impose à soi, il vous appartient de vous conditionner psychologiquement pour apprendre à vivre avec toutes les choses que vous ramasser dans la vie. Dans le cas contraire, vous les porterez comme un boulet qui vous empêchera d’avancer. Or l’essence même de la vie, c’est d’aller toujours de l’avant. Aujourd’hui, grâce au développement des moyens de communications, nous arrivons à vivre notre vie de famille avec une relative aisance.

A quand le retour au pays natal ?
Ce sera ce jour-là où j’aurai la garantie que ma vie n’est plus en danger. Cette garantie, ce sont des élections démocratiques, un gouvernement stable, un Etat de droit qui assure à chaque citoyen le droit de vivre en paix et en sécurité à l’intérieur de son pays sans crainte d’être victime de son origine ethnique, de son appartenance religieuse ou politique ; et qui dispose de mécanismes de recours fiables lorsque ces droits sont menacés.

Ces 12 Africains qui illuminent les médias publics français

Douze hommes et femmes. Douze destins. Douze parcours différents. Ils sont tous Africains ou d’origine africaine et professent le journalisme, sur les principaux médias audiovisuels (publics) français. Avec un tel professionnalisme qui les font remarquer. Certains se redécouvrent au fil et à mesure que les années courent. D’autres reconfirment leurs savoir-faire et raffermissent leurs positions respectives dans ce milieu très concurrentiel. Les uns mettent les voiles, pour de nouvelles aventures encore plus passionnantes. Les autres attendent patiemment, peut-être, que sonne l’heure d’une retraite bien méritée. Qu’ils se nomment Amobé Mévégué, Soro Solo, Denise Epoté, Alain Foka, Serge Bilé, Elé Asu, Alexis Konan, Christian Eboulé, Madeleine Mukamabano, Joseph Andjou, Elisabeth Tchoungui, Serge Bilé ou Patrick Fandio, ces journalistes africains illuminent de leurs talents les ondes et antennes de l’Hexagone. Afrique Compétences, votre magazine, vous les livrent tels qu’en eux-mêmes, dans ce dossier spécial signé de notre correspondant Europe, Jacques POWPLY. Lumière !

Soro Solo: L’aventurier enchanté

Voix caverneuse mais chaleureuse quand il conte son Afrique enchantée. Pour dépoussiérer les valeurs et patrimoine ancestraux d’un continent jadis riche de ses épopées. A 50 ans bien sonnés, il porte allègrement une silhouette juvénile toujours coiffée de dreadlocks qui lui confèrent une allure de routard invétéré. Mais Soro Solo a fait un choix de vie ; être disponible pour les autres pour mieux s’enrichir des influences multiples qui lui donnent cette ouverture d’esprit et régénèrent ses sujets. Passionné de voyages et de découvertes, il parcourt monts et vallées, toujours présent là où le devoir l’appelle, là où il se sent utile à la communauté, ses auditeurs ; par lequel il vit. Que serait-il sans la radio? Lui qui l’a porté dans le corps et le cœur depuis sa tendre enfance. Au point de ne présenter à la fin de son cycle secondaire que l’unique concours d’entrée au Studio école de la Radiodiffusion- télévision ivoirienne. Sacré Ebony en 1993 à la faveur de l’édition inaugurale du prix d’excellence de l’Union des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI), le voilà distingué du Grand prix des radios francophones en juillet 2009. Monsieur Grognon récolte ainsi les fruits de sa passion et de son abnégation. Ceux aussi de sa vision d’une radio enracinée dans la société et s’intéressant, loin des projecteurs, aux hommes et femmes qui procurent encore du sens à l’humanité et à la vie. L’espérance.
Avec son «frère blanc» et complice Vladimir Cagnolari, Soro Solo conte chaque jour depuis deux saisons le Continent sur France Inter dans une émission au titre évocateur, L’Afrique enchantée. De Tanger au Cap, une heure d’antenne quotidienne consacrée à un pays, ses légendes, ses mythes, ses grands gestes épiques et à ses multiples identités, avec en illustration la musique.
Mais alors, quel intérêt y-a-t-il à parler d’une Afrique qui se veut enchantée sur une radio française ne diffusant qu’en France ? «La France et les français (…) ont une image dévalorisée et récurrente de l’Afrique non du fait de leur ignorance mais parce que les média leur en imposent. Ainsi, comme je me trouvais dans une chaumière, je leur dis : « Ecoutez, je vais vous raconter un peu de mon Afrique ». Ce faisant, il met à la disposition des auditeurs une nouvelle grille de lecture qui les porte à mieux la découvrir et l’apprécier. Idem pour les fils de l’Afrique dont l’esclavage et la colonisation ont déprécié les regards sur leur propre continent. « En racontant à ceux-là la puissance, les savoirs et connaissances de l’Afrique, ils pourront progressivement se débarrasser de ce vilain complexe d’infériorité et arrêter de se déconsidérer ». Et pour conclure : « Et toi aussi, ma chère Afrique, tes enfants s’ignorent. Tout ce que je voudrais, c’est te présenter afin qu’ils apprennent à se redécouvrir eux-mêmes », implore-t-il.
Conter l’Afrique en utilisant la musique comme document. L’originalité de ce concept n’a pas manqué de séduire les responsables de France Inter. Néanmoins, c’est davantage ce ton nouveau, énième tentative pour lustrer l’image d’un continent trop souvent malmené, infantilisé et méprisé ; auquel s’ajoute la capacité de Soro Solo à émouvoir et faire rire avec des sujets graves, susceptibles de faire pleurer qui conquièrent les auditeurs de cette fréquence. Si bien que «L’Afrique enchantée est désormais, selon la Médiamétrie française, l’une des trois émissions les plus écoutées à cette heure-là le dimanche sur RTL, Energie et France Inter», commente le journaliste, visiblement flatté.
Que de chemins parcourus pour en arriver là ? Soro Solo présente sa première émission radio en 1983 au terme d’un stage à l’Institut national de l’audiovisuel de Bry-sur-Marne près de Paris. Une émission quotidienne dédiée au Temps du disque suivie plus tard du Réveil matin, de 6 heures à 8 heures. Trois ans plus tard, en 1986, il se fait remarquer par Sylvie Coma, productrice de l’émission Taxi-Brousse sur Radio France International, séjournant à Abidjan à la faveur des Découvertes RFI. Celle-ci lui tend la perche. Souleymane Coulibaly, de sa première identité, diffuse ses reportages dans cette émission. En 1989, lorsque le vent de la démocratisation souffle sur la Côte d’Ivoire, il lance sa chronique Le Grognon. Chaque matin, les auditeurs dénoncent les dérapages des services publics, en direct, par téléphone interposé. Le Grognon devient célèbre auprès des petites gens qui peuvent y vider leurs colères et frustrations latentes, mais suscite, en revanche, le courroux des responsables de l’administration publique et surtout, celui des hommes en uniformes. Conséquences : Soro Solo est suspendu d‘antenne régulièrement…
Janvier 2003, débarquant à Paris pour participer à l’assemblée générale d’Afrique en créations, le journaliste demande et obtient l’asile politique en France. Flashback. Le 18 octobre 2002, un mois jour pour jour après le déclenchement de la rébellion qui déchire encore la Côte d’Ivoire, Soro solo assiste à l’assassinat de deux des membres de sa famille ayant accompagné sa défunte tante à sa dernière demeure au cimetière de d’Adjamé-Williasville. « J’ai eu la vie sauve parce que je venais à peine de quitter les lieux. J’ai compris ce jour-là que ma vie était en danger », s’était résigné celui qui, par amour de sa patrie et par devoir envers ses compatriotes, avait poliment décliné plus d’une offres d’emploi vingt ans plus tôt en France ; au motif qu’il se sentait plus utile à son pays et redevable à ses contribuables de lui avoir permis de bénéficier d’une formation à l’INA.

Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)

Serge Bilé :Eveilleur de la conscience noire à la fécondité intellectuelle impressionnante

Journaliste, écrivain et essayiste, réalisateur et scénariste, dramaturge et metteur en scène, parolier… Aucun des métiers de la communication de masse ne résiste à l’obsession de Serge Bilé de reluire, par la vérité historique, l’image dépréciée du Noir. Explication : «un combat est nécessaire, celui de l’histoire, de la mémoire, de la réappropriation par les hommes de leur passé». Une prise de conscience qui va déterminer sa vie à la suite d’une rencontre en 1993; celle des Boni de Guyane, nos lointains cousins déportés aux Antilles par la traite négrière.
Ce journaliste ivoirien installé depuis 1994 en Martinique s’est volontiers engagé à «redonner au Noir et à l’Afrique leur passé, redonnant peut-être ainsi son passé à l’humanité», pour paraphraser le célèbre poète martiniquais Aimé Césaire dont il était très proche.
«Il est important qu’on déconstruise tous les mythes et autres stéréotypes négatifs qui paralysent les Noirs dans toutes leurs actions.», argumente-t-il, saisissant au bond cette invite de Cheick Anta Diop: «Nous menons et on mène contre nous le combat le plus violent, plus violent même que celui qui a conduit à la disparition de certaines espèces. Il faut justement que votre sagacité intellectuelle aille jusque-là (…) et arrachez votre patrimoine culturel…»
A 49 ans, Serge Bilé affiche au compteur une œuvre littéraire, cinématographique, théâtrale et musicale d’une densité numérique et qualitative extraordinaire. Laquelle traite des thématiques historiques et rares voire occultées sinon reléguées, à dessein, aux oubliettes.
Et si Dieu n`aimait pas les Noirs, La légende du sexe surdimensionné des noirs, Quand les Noirs avaient des esclaves blancs et Sur le dos des hippopotames : une vie de nègre (littérature); Noirs dans les camps nazis, Maurice le Saint noir et Les Boni de Guyane (documentaires), Couvent et sexualité puis Paroles d’esclavage (vidéo), Soweto (comédie musicale); ses productions majeures dénoncent en termes simples, tour à tour, le hold-up perpétré par les historiens contre la mémoire noire, le racisme honteux dont se rend coupable l’Eglise catholique au cœur même du Vatican, les stéréotypes véhiculés sur les Noirs, la quasi-impossible intégration des minorités en France… Pour cause ? «Mes documentaires et mes livres répondent à une même logique : faire sortir notre histoire du monde fermé des spécialistes, et tenter, en journaliste attentif, de mettre des éléments fondamentaux de l’histoire noire à la portée du plus grand nombre, de l’étudiant de Fort-de-France à l’infirmier camerounais, en passant par l’agriculteur du Larzac. J’écris cependant, avant tout, pour rendre aux Noirs leur passé, les sensibiliser à ce qui les a amenés là où ils sont aujourd’hui. Et ainsi participer, de la place qui est la mienne, à cette prise de conscience que l’on voit émerger de toute part ».
Par moments, le journaliste se surprend à rêver, aussi. Notamment quand il commet, dans Tiwa et la pierre miroir, le petit orphelin et sa grand-mère nourricière pour réconcilier deux peuples qui se haïssent depuis l’aube des temps. Normal donc que ce conte symbolique destiné aux enfants s’accompagne de Nouveau Monde, une chanson au titre plus qu’évocateur. Afin que, suggère-t-il « notre culture ne s’enferme pas dans un communautarisme stérile et que nous franchissions, nous les Noirs, ces pas que trop peu de Blancs ont jusqu’alors accepté d’accomplir : ceux qui mènent d’un homme à un autre homme, quelle que soit la couleur de leur peau, tout simplement».
Chaque livre signé Serge Bilé est un bestseller. En revanche, l’auteur ne manque pas de susciter méfiance, colère et polémique. Même sur la toile, ses œuvres ne sont pas recommandées. Certains sites vont jusqu’à envoyer des alertes de sécurité relatives à leurs contenus. Peu lui importe ! «Je suis un intellectuel qui veut aborder franchement les sujets dont on ne veut pas parler. Il n’y a aucune polémique à dire que des Noirs sont victimes de racisme au Vatican, il n’y a pas non plus de polémique à dire que des Noirs souffrent de toutes sortes de clichés méprisants… Il n’y a pas de polémique à dire que des Noirs ont été déportés dans les camps de concentrations nazis. Il y a juste que des gens refusent qu’on parle. Ils mettent donc une chape de plomb sur des sujets qui nous concernent. Parce qu’ils veulent que l’Histoire soit uniquement la leur… Mon travail n’est donc pas de créer des polémiques, mais de poser des problèmes réels…», rectifie le journaliste-écrivain.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet intellectuel assume son statut et la mission d’éveilleur de la conscience noire qu’il s’est assignée. Afin que les Noirs soient fiers de l’être. «Ils doivent savoir qu’ils ne sont pas moins intelligents que les autres et, qu’il n’y pas d’Européens qui soient les maîtres du monde et des Africains qui soient des souffre-douleurs. Nous avons toute notre place à prendre dans le monde». Par conséquents, ce journaliste très critique et à la colère contenue qui ne rechigne pas à la tâche invite les Noirs à faire preuve de sérieux aussi bien dans le travail que de le comportement. Cheick Anta Diop ne conseillait-il pas : «Il n’y a qu’un seul salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort (…) A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents…» ?
Nanti de cette connaissance et le cœur en pièces, Serge Bilé s’imagine difficilement, en regardant l’Afrique aujourd’hui, «qu’elle a été le berceau de grandes inventions humaines et politiques. On lui doit, pourtant, les mathématiques, les droits de l’homme, le ministère de l’intégration, la parité homme-femme, voire la découverte de l’Amérique ! » Voilà autant de raisons qui le motivent et le poussent à traquer la vérité historique.
Maîtrise d’allemand de l’Université de Poitiers et diplôme de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille en poche, Serge Bilé fait ses armes à France 3 où il fait des remplacements. Il se retrouve ainsi sur les routes des provinces françaises, à l’instar des quelques dizaines d’autres journalistes, à pallier les absences plus ou moins longues de ses confrères. C’est d’ailleurs la capitale de la Loraine, Nancy qui lui offre de présenter son premier JT de la mi-journée. «J’aimais cette vie de nomade», confiera-t-il plus tard. Toutefois, il appréciait beaucoup plus cette grande liberté découlant de la totale confiance de sa hiérarchie. En avait-elle seulement le choix ? «(…) On nous faisait confiance. Il est vrai qu’on nous confiait parfois les taches que les titulaires n’avaient pas ou plus envie de traiter », rappelle Serge.
Souvent parti sans avoir la moindre idée de son sujet, le journaliste débutant a tiré de cette tournure d’esprit, la substance même de son avenir professionnel : «dans les films que je réaliserais plus tard et les livres que j’écrirais, j’empoignerais à bras le corps des problèmes que je connais peu mais que je perçois comme importants, je me documenterais du mieux possible, afin de simplifier les choses complexes et pouvoir ainsi mieux les transmettre. N’étant en rien un spécialiste, seulement un curieux et un acharné, j’apprends moi-même avant d’apprendre aux autres. Le socle de valeurs que mon éducation m’a donné — respect des hommes et amour de la vérité — permet ce travail. Sur leur base, je tente de construire des choses nouvelles et différentes dont j’espère qu’elles apporteront des éléments de savoir et de réflexion à ceux qui me lisent ou regardent mes documentaires ».
Première moitié de la décennie 90, Serge atterrit en Guyane. Un an plus tard, le voilà en Martinique. Toujours dans les mêmes circonstances et pour la même raison: le hasard et un journal à présenter. «En 1993, après avoir arpenté la France en tous sens, j’ai eu envie de changer d’horizon. La chaîne de télévision RFO cherchait pour sa station de Cayenne quelqu’un pour présenter le journal télévisé. On me l’a proposé. J’ai dit oui, et j’ai quitté Paris sur le champ. (..) J’ai débarqué en Martinique en juillet 1994. Un journal télévisé à présenter. On me l’a proposé. J’ai accepté», se souvient-il.
Hasard ou carrière outre-mer prédestinée ? En vérité, Serge Bilé ne suivait que son destin. Boursier de l’Etat ivoirien, l’élève-journaliste s’était pendant ses années de formation interrogé sur le lieu où professer. Un premier stage au sein du plus important quotidien de son pays, Fraternité-Matin, lui avait laissé le souvenir d’une presse à la solde du pouvoir et qui se satisfaisait à cette situation. Un second stage dans une Télévision nationale pas mieux lotie et dont il avait tiré cet enseignement : «J’ai vite compris que ce journalisme-là, aux ordres des hommes politiques, n’était pas fait pour moi ». Et puis, il y a eu la prison en 1992, pour deux bouts de phrases sur les plateaux de la même télévision nationale, à la suite des événements du 18 février 1992. Serge est vacances à Abidjan et honore une invitation à une émission télévisée la veille de son retour en France. Répondant à l’ultime question de l’animateur qui voulait son avis sur l’arrestation des députés de l’opposition, le journaliste de France 3 avait osé ces mots : «C’est une arrestation arbitraire. Leur procès a été une mascarade de justice». Un commentaire fort déplaisant aux responsables de la chaîne puis aux autorités gouvernementales. Lynchage et injures séance tenante dans le bureau même du directeur de la télé, interpellation le lendemain à l’aéroport, garde à vue, incarcération et procès expéditif, trois mois plus tard. Enfin, condamnation à un mois de prison avec sursis. Sans doute, avait-il dû la clémence du verdict à la diplomatie souterraine, en raison de sa double nationalité de fait, le Code de la nationalité ivoirienne (1972) ne reconnaissant pas à l’époque ce statut.
Le journaliste se convainc donc qu’il exercerait son métier dans son autre «chez moi», en France. Car, le savait-il : « (…) Je sentais bien présentes en moi les deux cultures». Mais alors, comment vaincre la discrimination dans cette même France qui a, à la fois, honte et peur de sa diversité ? «Je déplorais, (..), le manque de visibilité de nos communautés antillaises et africaines à la télé. Je trouvais même cela dangereux. Pourtant, nous avions foi en l’avenir, persuadés que nos écrans prendraient rapidement des couleurs, et que bientôt, d’autres journalistes africains, antillais ou maghrébins, allaient nous rejoindre. Mais près de vingt ans se sont écoulés, et le constat est sévère. La situation n’a pas évolué. Proportionnellement au nombre de chaînes, elle aurait même régressé. Les beaux discours peuvent se succéder, rien ne change. Dans ces conditions, comment parler d’intégration et de tolérance, si une partie de la population française est carrément zappée ? »
Pour Serge et comme pour bien d’autres Français de son état, épris de justice et d’égalité ou simples militants du droit à la différence, la bataille se soldera par une certaine désillusion. Y compris, en terre noire, la Martinique où il s’est senti pendant longtemps rejeté. Hostilité à peine voilée ça et là, lettres de menaces et injures du genre « Sale Africain, rentre chez toi !» Jusqu’à ce beau matin où un de ses amis lui annonce qu’un sondage auquel il avait collaboré le désignait comme le présentateur préféré des Martiniquais. Commentaires : « Je n’en revenais pas. Je n’en demandais pas tant. J’étais soulagé, et même vraiment heureux. Tellement heureux. Je me savais enfin adopté, en retour, pour ce que j’étais par la majorité de l’île qui rejetait donc, comme moi, nos divisions ridicules. Un pied de nez à nos vieux démons, et un motif, surtout, d’espérer ! »
En 1995, une année après son établissement à Fort-de-France, Serge fonde avec des amis martiniquais l’association Akwaba (Bienvenue en langue akan) et met en place des échanges culturels et des vols charters directs entre la capitale de l’île française des Caraïbes et Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, son pays d’origine.
Outre la littérature, le cinéma etc. ; il se passionne également pour la musique. C’est cette passion qui le conduit à écrire des chansons pour de nombreux artistes et à signer la comédie musicale Soweto, sur la vie et le combat de Nelson Mandela, laquelle a été plébiscitée aux Antilles et au Casino de Paris.

Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)

Patrick Fandio: Rêveur mais lucide et engagé

Pétri de talent, il sait à la fois se fondre en son sujet et prendre avec celui-ci, la distance nécessaire pour demeurer, avant tout, un témoin. Celui dont le regard éclaire les faits, sans parti-pris ni complaisance, ni désinvolture. A preuve, son reportage en août 2007 sur la commémoration du premier anniversaire de la mort du jeune soldat israélien Yohan Zerbib, tué lors de la guerre entre l’Etat hébreux et le Hezbollah libanais. Commentaires: [De son passage sur terre, Yohan aura laissé l’emprunte d’un être plein de courage, de générosité et de conviction. Il est mort le 12 août 2006 dans les rangs de Tsahal au terme d’un violent combat avec les milices du Hezbollah. Il avait quitté la France pour faire sa vie en Israël. Au cours d’une ses missions, Yohan avait sauvé ses camarades. En retournant en Israël, Yohan s’est penché pour ramasser de la terre, il s’en est couvert le visage. «C’est pour cette terre que nous nous battons », avait-il déclaré. C’est pour cette terre qu’il est mort.
Cinq jours avant sa mort, Yohan était interviewé par la télévision française. Au micro Patrick Fandio, grand-reporter lui demande s’il est conscient des risques que représente le conflit. « Je suis tout seul en Israël, ma famille est en France. Oui, je suis prêt. Je suis prêt à risquer ma vie pour défendre mon pays ! ».
Aujourd’hui Patrick Fandio a tenu à se déplacer pour assister à la cérémonie. Il se souvient de Yohan. Mort à l’âge de 22 ans pour défendre son pays, Yohan restera à jamais, un modèle pour sa génération].
Il n’a pourtant pas sa langue dans la poche. Chaque mot dont il use, fait toujours resurgir une vérité. Celle d’un homme lucide et engagé. Que seul le rêve porte à tant d’audace. Dans une interview accordée à un confrère camerounais, il avait osé charger les forces de l’ordre nigériennes plutôt préoccupées à rançonner les automobilistes qu’à daigner un regard sur un désuet patrimoine archéologique, pourtant victime de pilleurs invétérés. « Il y a d’autres chats à fouetter ! Tous ces « dangereux » chauffeurs de cars qui risquent de franchir les barrages sans laisser leur billet de 5OO FCFA !», avait-il commenté.
Mieux, avait-il martelé au sujet des essais cliniques d’un certain «vaccin» contre le sida au Cameroun : «Dans un touchant réflexe d’indignation, j’ai entendu certains dire qu’il fallait dénoncer l’utilisation de «cobayes africains» ; comme si ailleurs dans le monde des milliers d’Européens, de Latinos, de Nord-américains, d’Asiatiques ne se livraient pas à des essais cliniques pour la recherche biomédicale avec des protocoles éthiques standards. Comme si des malades africains ne profitaient pas ou ne profiteront pas des médicaments ainsi testés ».
Et à propos de la politique française de la «discrimination positive» et de l’un de ses corolaires, la représentation des «minorités visibles dans les médias», il assénait : « Si on le veut vraiment, il est parfaitement possible de dénicher d’autres journalistes noirs expérimentés, doués, ou même, pourquoi pas, médiocres, comme il en existe dans toutes les rédactions. La vraie égalité, ce sera quand nous aurons aussi le droit d’être moyens ».
34 ans. Jeune journaliste prodigieux, à qui l’avenir promettait une carrière exubérante, Patrick Fandio vient de faire un pied de nez à son destin qui semblait pourtant si bien tracé. Le désormais ex-grand-reporter à TF1 a posé ses valises à Johannesburg en Afrique du Sud, parce que non seulement «ce pays nous a fait rêver pendant toute notre jeunesse mais aussi c’est un carrefour africain, une plate-forme.», confiait-il récemment à un confrère. Du même coup il abandonne un formidable job sur la chaîne de télévision la plus regardée en France ainsi que tous les privilèges à lui rattachés.
Patrick rêvait depuis toujours de travailler en Afrique. La prochaine Coupe du monde de football qu’accueille le pays de l’emblématique Nelson Mandela lui en a offert l’opportunité. Le journaliste camerounais s’y installe avec les bureaux d’Impala, la société de production qu’il a créée avec ses amis et partenaires. Objectif avoué : produire des reportages et documentaires pour l’ensemble du continent. Afin que «les Africains racontent eux-mêmes leur histoire au monde».
Si son engagement africain procède d’un lien affectif tenace avec ce continent, Patrick Fandio reconnaît en revanche qu’il est un rêveur et rêve d’une autre Afrique. Cette Afrique qui gagne. Parce qu’elle aura su mieux exploiter ses énormes potentialités. Pas celle résignée qui courbe l’échine. «Notre Afrique est encore vierge et il y a plein de choses à y faire. J’envisage de m’investir un peu plus pour elle», n’avait-t-il cesse de répéter.
Aussi, répond-t-il à ses détracteurs qui pourraient voir en son départ de TF1 un caprice d’enfant prodigue, par cette réflexion qu’l avait eu voici déjà quatre ans et qui résonne aujourd’hui comme une prémonition: «Chacun doit trouver son chemin en fonction de ses aptitudes, de ses goûts, de ses envies, de ses compétences, de ses hobbies».
Patrick Fandio avait rejoint la France en 1993, après son Bac D passé dans son Cameroun natal, pour étudier les Sciences de la communication à l’Université de Nancy. Trois années plus tard, il se gratifie d’une licence et entre après concours au Celsa (école de communication dépendant de la Sorbonne). Lorsqu’il termine son cycle, il est plutôt attitré par la radio. Cependant, c’est France 2 qui lui ouvre les portes de sa rédaction en 1998 grâce au coup de pouce d’un de ses anciens encadreurs, Rachid Arhab. Cinq années de preuves et TF1 le ‘débauche’ avec le titre de grand reporter auréolé d’un salaire hallucinant. En onze années de carrière sur ces deux chaînes, il aura couvert les plus grands événements de ce début de 21è siècle : le 11 septembre, le Tsunami du 25 décembre 2004, la guerre en Irak, l’offensive israélienne contre les milices du Hezbollah libanais en 2006, les tremblements de terre en Turquie, en Iran, etc.
Plus qu’un pari, c’est un nouveau défi que se lance ce jeune homme qui apprend avec «une vitesse déconcertante» à en croire l’un de ses anciens supérieurs hiérarchiques à France 2. Comme seize ans auparavant, lorsqu’il s’était orienté contre toute attente vers le journalisme, cet univers qui le dévorait ; Patrick Fandio est bien décidé à écrire sa légende personnelle en suivant son « instinct ». En effet, au lycée, Patrick avait accepté de faire des études scientifiques qui ne le passionnaient guère, seulement «pour faire plaisir à ses parents». Certes, il en avait les capacités, mais il était plutôt intéressé par des matières telles la géographie, l’histoire, la philosophie. Toutefois, le journaliste reconnaît sur le tard que «le Bac D était finalement un bon compromis » en raison du juste équilibre entre les coefficients des matières littéraires et scientifiques.
«Le journaliste est un métier qui mène à tout !», a-t-on coutume de dire. Bon vent, cher confrère !

Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)

Madeleine Mukamabano: «Moi exhibitionniste?»

Combien sont-elles, les personnes – journalistes y compris – qui peuvent se vanter de connaître Madeleine Mukamabano ? Très peu, en réalité. La modératrice du Débat africain sur Radio France International n’est guère du genre à exposer sa vie privée. «Je ne suis pas exhibitionniste», lance-t-elle, d’emblée. Et d’ajouter, catégorique : «Je préfère ne parler que de son travail » expliquant qu’on s’intéresse à elle parce qu’elle est « journaliste à RFI et non du fait d’être une mère de famille ». Allons-y donc pour son travail.
La belle aventure commence en 1987. La journaliste rend son tablier à Demain l’Afrique, le magazine panafricain fondé par les ex-dissidents de Jeune Afrique, comme ce fût le cas quelques années auparavant à Actuel Développement et dans l’édition littéraire. Sa passion, pourtant. Plutôt qu’une reconversion, il s’agit pour elle d’un passage d’une rive à l’autre du même fleuve. Car, Madeleine Mukamabano cumule plusieurs années durant, les collaborations entre presse écrite et radio, notamment à travers une émission mensuelle puis hebdomadaire sur France Culture.
1990. Madeleine Mukamabano lance Le Débat Africain. Cette chronique légère tente de discerner les tendances de la société tous les lundis dans le Journal Afrique sur les ondes de RFI. Elle dissèque l’actualité africaine nourrie de ses crises et élections à polémiques ; les politiques, la géopolitique, l’économie à l’échelle du Continent. Objectif avoué : offrir un espace de rencontre d’une part entre hommes politiques au pouvoir et de l’opposition et d’autre part, entre les acteurs de la société civile. «Cela manquait. Aussi suis-je satisfaite non seulement d’avoir ouvert cet espace de débat la première, créé un poste d’observation des évolutions des pays africains notamment en matière de démocratisation; mais permis à plusieurs auditeurs d’horizons divers de découvrir la richesse humaine et intellectuelle des Africains», s’enorgueillit-elle.
Mais que gagne-t-elle, outre cette fierté légitime d’apporter chaque semaine un peu plus de démocratie par l’intermédiaire des ondes à cette Afrique? «Pour moi, c’est une leçon quotidienne. J’ai l’impression d’être à l’école, toujours à l’école. J’ai beaucoup appris sur l’Afrique, sur les gens». Et comment ?
Madeleine Mukamabano a quitté l’Afrique voilà plus de trente ans. Sa licence de lettres en poche, elle débarque à Paris dans les années 70 en provenance d’Ouganda où elle s’est réfugiée pour étudier. Ce second exil procède des mêmes causes. Elle explique: «Les mêmes persécutions recommençaient en Ouganda sous Amin Dada». Après son baccalauréat, la jeune rwandaise enjambe la frontière entre les deux pays. Destination, l’Université de Makerere «parce qu’en tant que Tutsi, j’étais condamnée à enseigner dans le lycée que j’avais fréquenté. Il appartenait aux Bonnes Sœurs, la plupart des écoles primaires et secondaires étant tenues à cette époque-là par les missionnaires».
Son pays ne pouvait pas lui offrir des études à l’université. Cependant, la journaliste s’est offerte l’Afrique et le monde, grâce à la magie des ondes. Belle revanche !

Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)

Joseph Andjou :Force est à la volonté et à la patience

«Si on me balance par la porte, je rentre par la fenêtre». Voilà le leitmotiv de Joseph Andjou, ce journaliste ivoirien qui a su s’imposer dans le monde impénétrable des médias français. Les innombrables refus polis en réponse à ses multiples démarches pour se faire recruter dans l’Hexagone ont forgé en cet homme de media, un caractère de battant qui ne recule pas devant l’adversité. Bien au contraire, il fait preuve d’ingéniosité pour attirer l’attention sur lui. Par exemple, il se fait remarquer lors d’un concours peu ordinaire organisé par Canal+ en 1996 et consistant à passer le plus grand nombre de fois à la télé. Pendant trois mois, Joseph écumera les plateaux, toujours sanglé dans la même veste bleue, assistant à 37 émissions et s’arrangeant pour être à chaque fois dans l’angle d’une caméra. Il ne gagne pas que le concours. Comme le souligne le sage, « si tu veux vraiment quelque chose, tout l’univers conspire à ce que ton rêve se réalise », celui de Joseph est possible un certain 4 mars 2002. L’ancien correspondant du magazine people et de showbiz ivoirien Top visages et également ex-journaliste à Radio France Internationale lance, ce jour-là, une émission bimensuelle sur la chaîne d’information en continu i-Télé du groupe Canal+ ; avec la bénédiction de son directeur de la rédaction d’alors qui ne lui cache pas son intérêt pour l’Afrique : «Tu n’es pas plus bête que les autres, je te fais confiance. Si ton idée me plait on peut se lancer dans une aventure africaine, car l’Afrique m’intéresse», lui avait soufflé Bernard Zekri. Plus qu’une opportunité, Joseph tient-là l’instrument d’une double revanche : se faire entendre par un large public et donner l’occasion aux Africains d’écrire eux-mêmes leur propre histoire.
A la fois magazine et JT taillé sur mesure, i-Afrique va donc diffuser l’actualité politique, économique, culturelle, artistique et sportive telle que vue par les propres fils du Continent et de son producteur, véhiculant ainsi une image positive et vivante de l’Afrique. Mais la belle aventure africaine prendra soudainement fin, six ans plus tard, à la faveur du recentrage d’i-Télé sur l’information. Alors-même que l’émission grandissait en audience – ce qui fera changer sa périodicité en hebdomadaire – et figurait parmi les plus célèbres et les plus anciennes de la chaîne. Ne dit-on pas en Afrique, «Un grain de maïs a toujours tort devant une poule ou encore Le pied gauche marche toujours à gauche ? Aussi, ce journaliste «militant» qui signait chacune de ses émissions d’un proverbe africain peut-il s’enorgueillir d’avoir réussi son pari. Lui qui en a le triomphe modeste face au succès de son émission : «mon but n’est pas d’être une méga-star mais que demain, le regard que les autres ont sur notre continent change. (…) nous les journalistes fabriquons les stars, et je ne prétends pas me fabriquer moi-même», expliquait-il jadis.
A 43 ans, Joseph Andjou est en passe de fructifier sa profonde vocation médiatique. Il a publié depuis six ans Comme on dit en Afrique, un recueil de 200 proverbes et maximes africains chez Michel Laffont. Objectif avoué : mettre un outil à la disposition de tous ceux qui veulent découvrir l’Afrique et voyager à travers la sagesse et l’humour africains mais surtout enrichir le langage courant en France. «J’aurai intégré la culture française et i-Afrique aura gagné ». Et comme on dit au Benin, «même si tu ne sais pas où tu vas-tu sais au moins d’où tu viens», il a décidé de reverser une partie des gains qu’il aura rapportés à des œuvres villageoises, « car c’est la culture dans ces villages qui m’ont permis de mettre en place ce livre».
Joseph Andjou est Ivoirien, né en 1966 en pays Abouré de Bonoua. Ce peuple est connu pour avoir su se projeter la tête dans le modernise en maintenant fermes les pieds dans la tradition. Il a ainsi réussi à bâtir une cité moderne et aux influences multiples et à l’intersection des systèmes politico-administratifs et culturels pro-occidentaux et ancestraux. C’est donc riche de ce patrimoine que Joseph émigre en France après sa majorité où il commence une carrière de journaliste à RFI puis à Amina, l’un des plus vieux magazines de presse féminine afro-antillaise avant de se voir confier le poste de directeur de la rédaction du mensuel Afrobiz, qu’il crée au début de la décennie en collaboration avec son confrère camerounais de RFI, Amobé Mévégué, à Montreuil en région parisienne. Désormais, Joseph se consacre à la production. Il produit pour la chaîne à cryptée Canal+Horizons, Zoom Horizons, une émission hebdomadaire. Il fait aussi du conseil notamment auprès de la Banque internationale pour l’Afrique de l’Ouest (BIAO) tout en pilotant le Salon (annuel) de la diaspora ivoirienne qui se tient depuis deux ans au Palais des congrès de Montreuil.

Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)


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