«Dans une relative opacité, à chaque génération sa mission : la servir ou la trahir». A elle seule, cette phrase de l’écrivain martiniquais Franz Fanon résume Amobé Mévégué. Sa vie publique, privée et son rapport avec son continent, l’Afrique.
Camerounais et immigré en France dans sa tendre enfance à la suite de ses parents, l’animateur de Plein Sud sur Radio France International (RFI) se redécouvre à l’âge de cinq ans. Par une insouciante révélation de ses «petits camarades blancs». Un choc à l’origine de sa métamorphose.
Il raconte : «Enfant, je m’identifiais au super héros Tarzan de la série hollywoodienne éponyme en jouant dans la cour avec mes cinq frères et sœurs et mes amis blancs. Et je m’entends dire un jour : «Mais non, tu ne peux pas être Tarzan, tu es noir. Tu es Chita le chimpanzé». Le garçonnet venait de prendre conscience de sa différence, et analyse-t-il, «Quand on a cinq ans, on ne regarde pas forcément les gens en fonction de leur couleur de peau». Désormais, l’adulte qu’il est devenu n’a de cesse de marteler : «Je suis redevable à cette série».
Pour cause, le jeune enfant entame un long parcours initiatique pour se réapproprier sa culture d’origine, tout en restant ouvert à celle de son pays d’accueil. Il veut incarner le « citoyen d’Afrique», promouvoir le développement de ce continent et celui de la communauté noire en France. Il apprend la langue de ses parents, ingurgite les savoirs et connaissances de ces ancêtres. Il peut compter sur un environnement familial sécurisant et propice. C’est donc avec fierté qu’Amobé Mévégué fait désormais valoir sa différence. Celle qui renie l’acculturation et l’aliénation intellectuelle.
Les actes s’enchaînent. Il change de prénom, anagrammes des initiales de l’ancien et de ceux de ses géniteurs. Alain devient Amobé : A, comme Alain, pour explique-t-il ; « respecter le choix de sa mère». M, comme Mévégué, le nom de son père qui, lui-même, y avait déjà apposé celui de son oncle. Feu son père s’appelaient donc Mévégué Ongondo. O, comme Ongondo. B, comme Bineli, le nom de son grand-père. E, pour le son de la deuxième lettre de l’alphabet français.
Il revisite sa manière de se vêtir troquant les vêtements à la mode occidentale contre ceux africains. Il se marie à une Sénégalaise qui lui a donné un fils de cinq ans, Samory et une fillette, Djibel, quatre ans; qu’il couvre d’une tendresse infinie.
S’il réussit à imposer sa nouvelle identité, en revanche, celle-ci ne lui vaut pas que des amitiés. Témoignages : «Le seuil de tolérance est très limité en France dès lors que vous changez de patronyme, que vous ne mettez plus des costumes et cravates mais plutôt des boubous. Les gens changent autour de vous comme ils changent leurs habitudes. Ils vous regardent différemment, et vous n’imaginez pas le nombre de fois que vous vous faites contrôler».
Il n’empêche, Amobé refuse d’être «l’alibi de la civilisation». Convaincu qu’il peut être lui-même tout en faisant à la fois partie de l’élite française et celle de l’Afrique, «ce Continent qui m’a porté». Et de conclure : «L’universel, c’est la somme de toutes les différences».
Alors qu’il prépare son diplôme du Conservatoire français du cinéma dont il sort major de la promotion 1992-1994 en option réalisation, Amobé écume les premières radios panafricaines ayant émergé au milieu des années 80 en France : Tabala FM, Tropic FM, etc. «La radio est un excellent moyen de véhiculer des idées», s’était-il convaincu. Puis, ce sera les plateaux de télévisions (CFI, TV5, France O, etc.) ; jusqu’au jour où RFI vient le chercher en la personne de Gilles Obringer.
Le défunt et célèbre animateur de Média Tropical en avait assez et voulait s’arrêter. Il s’en alla trouver Alain Mévégué et lui proposa de le remplacer. «Gilles me disait : j’écoute la FM parisienne et j’aimerais que tu viennes me remplacer», sen souvient-t-il. Le jeune animateur décline poliment l’offre estimant qu’une telle sommité était irremplaçable. « Gilles a catapulté depuis RFI, les carrières de Kassav’, Youssou Ndour et bien d’autres encore. Grâce à lui, un média s’intéressait à la musique africaine pour la première fois dans le monde occidental ».
Appréhension ? « Non, cet homme avait construit tout un univers autour de son émission et en avait fait une émission mythique. Gilles était sans doute le Français le plus célèbre en Afrique. Outre François Mitterrand à cette époque-là, je n’en connais pas. Aussi, ai-je trouvé cela réducteur que quelqu’un comme moi le remplace ».
Son idée à lui, «Il fallait tourner la page». A partir de cet instant, il développe le concept de l’émission Plein Sud, qu’il anime depuis quinze ans sans discontinuer.
Mais quand Gilles Obringer décède un an plus tard en février 1995, la même équation se repose. Pour solution, Amobé Mévégué propose Claudy Siarr.
Fort de plus de vingt années d’expérience dans les métiers de la communication audiovisuelle et écrite (radio, télévision, cinéma et presse), il décide de retourner sur la terre qui l’a fécondé et voler au secours de la jeunesse africaine à travers une multitude de projets mus par ses demi-succès précédents en la matière. Amobé Mévégué avait lancé en 2001, Afrobiz, un magazine en papier glacé avec entre 35 000 et 50 000 exemplaires et financé de sa poche à hauteur de 75 000 euros (49.196.775.000 FCFA) chaque tirage. L’entreprise s’était avéré un gouffre financier. Aussi, décida-t-il d’arrêter l’hémorragie et de repenser le projet, l’un de ceux qu’il remet sur la table, pour son retour. Car, ce magazine avait connu un certain succès éditorial, notamment en Afrique et auprès de la jeunesse africaine.
Il avait également créé le Pacte d’actions des synergies solidaires (PASS),
car estimait-il qu’il est inadmissible que des jeunes Africains qui habitent la terre la plus riche du monde soient condamnés à être les esclaves universels parce que ces richesses sont mal distribuées. Il proposait donc un réseau d’actions citoyennes à travers le Pass dont l’objectif final était de créer des emplois directs pour la jeunesse africaine. Pour ce faire le Pass devrait intervenir dans divers secteurs : santé, éducation, protection de l’environnement et métiers de la culture.
La mort de son père en 2005 et ses nouvelles responsabilités en sa double qualité d’aîné et héritier de la famille ont mis fin prématurément à cette initiative. Laquelle, d’ailleurs, revient en 2010 sous une forme améliorée : une fondation et des supports médiatiques beaucoup mieux élaborés, structurés et crédibles pour promouvoir l’inépuisable patrimoine culturel et artistique africain aux fins de créer un réseau d’emplois pour ses frères restés sur le Continent. Ce programme ambitieux et généreux qu’il «espère porter à son terme avec le soutien des ancêtres» constitue l’une de ses principales missions sur terre. Qu’il essaie d’accomplir autant dans les mass-médias, la musique (en produisant Amy Koïta, une diva au Bataclan ; Pierrette Adams à Planet Hollywood, premier clip musical africain en 3D…) qu’au au Septième art en réalisant des films aux titres évocateurs : Tenue correcte exigée en 1994 et Nola Darling en 1992, film d’école ayant obtenu le premier prix de la mise en scène. Le jeune cinéaste vient d’achever l’écriture d’une comédie dramatique musicale intitulée Les Damnés de Zion et de Soul Africa, un opéra noir en huit actes. S’y ajoute, Le negro malgré lui. Ce film-documentaire résonne comme un autoportrait relatant, sur fond de dérision, de satire, de rencontres, etc.; les trente-six années de vie d’un immigré africain en France. Quelle fécondité!
Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)
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