Mà tu, cosa chi fai qua?

Voici un peu plus de cinq ans, je foulais le sol italien, pour la seconde fois. La première, c’était en octobre 1998. J’y étais venu en tant que touriste visiter ce pays chargé d’histoires et dont les plaquettes publicitaires vantaient tant la beauté. Déjà, à la gare centrale de train de Milan où je venais de débarquer en provenance de Paris, mille et une questions se bousculaient dans ma tête : était-ce bien ce Milan, la capitale économique de la péninsule et de la mode internationale? Une petite virée à l’extérieur de l’enceinte et je compris très vite. Milan a mal à sa plus grande gare de train d’où partent et arrivent les lignes internationales. Plus que la gare elle-même, c’est davantage la vétusté des trains régionaux qui conforte mon opinion. Si l’Italie avait été sur le continent africain, on l’aurait classée parmi les pays émergents. Mais, l’Italie est membre de l’Europe unie. Sa capitale, Rome, a même abrité le sommet ayant accouché du traité éponyme qui lança la Communauté économique européenne, ancêtre de l’EU.
En cette matinée automnale, me voilà embarqué à bord d’un de ces trains ringards – bien que vétuste, ce train à deux niveaux a été retiré depuis de la ligne Milan-Crémone au motif que celle-ci n’est plus digne de lui. Une heure et demie de trajet, je suis à destination, non sans avoir traversé champs et une pléiades de petits villages où l’arrêt y était obligatoire.
J’en suis reparti, à échéance de mes dix jours de séjour, avec hâte et empressement. Pour m’y retrouver six ans plus tard. J’avais parié que je n’y séjournerais pas plus de deux mois. Eh bien, non !
3 décembre 2004. Je débarque à nouveau à Milan via l’aéroport de Malpensa, à une soixantaine de kilomètres du centre-ville. Direction, Crémone où réside mon épouse. Cette fois-ci, j’avais été appelé par le devoir «conjugal ». Marié depuis peu avec ma douce moitié immigrée e depuis onze ans au pays de la pizza, de la pasta et de la tomate, je coulais des jours heureux sur les bords de la Lagune ébrié. J’étais consultant pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et je jouissais d’un épanouissant travail et d’une très bonne rémunération. Je me doutais donc qu’un jour prochain, je me serais retrouvé, immigré, en Italie.
Mais, c’était sans compter avec le destin. En dépit de multiples chemins que j’avais parcourus, des combats menés, des sacrifices consentis et des succès que j’avais pu enregistrer sur lit de ma vie, celui-ci me rappela que mon initiation à la vie n’avait guère été achevée.
En cet après-midi, par un temps d’hiver précoce, me voilà donc au chevet de mon épouse qui venait de frôler la mort à la suite d’un terrible accident de la circulation. Alors qu’elle se rendait à son travail, sa voiture fait une embardée, cinq tonneaux et se retrouve dans un champ en contrebas de la chaussée.
Fort heureusement, elle est secourue de toute urgence par son médecin de famille qui passait par là. Elle s’en était donc tirée avec beaucoup de chance m’écrivait –elle dans un texto, tard dans la soirée. Ma vie venait de basculer à mon insu.
« Tu y es, tu y restes ! »
S’appuyant sur le traumatisme qu’elle avait vécu, mon épouse me convainc de rester. Je l’accepte non sans difficulté mais persuadé, comme le dit le dicton « partout où on coupe le citron, le jus coule». Commence alors le chemin de croix.
Je m’inscris à l’Ufficio di collocamentamento, l’équivalent de l’Agence nationale pour l’emploi en France. Je parcours les agences d’intérim. A chaque entretien, toujours la même question, récurrente : « Mà tu, cosa ci fai qua ? », juste pour me signifier qu’avec de tels diplômes universitaires et une si riche expérience professionnelle, je m’étais sûrement trompé d’adresse. En clair, personne n’avait du travail pour moi. Sauf une. Une relation à une amie autochtone me proposa d’enseigner dans une université libre pour personnes du troisième âge qu’il s’apprêtait à créer. Nous avions gardé le contact jusqu’au jour où mon bienfaiteur m’envoya une invitation à une soirée pour célibataires que j’ai déclinée poliment. Depuis ce jour-là, c’est silence radio. Si je voulais donc travailler, il me fallait entrer « in fàbbrica ». De fait, l’Italie offre peu d’opportunité de travail hors des usines, des tâches de nettoyage et ménagères, des activités champêtres, aux extracommunautaires, ces immigrés dont les pays ne sont pas membres de l’EU. Seuls les plus anciens d’entre eux et c’est cela leur mérite, ont réussi à ouvrir des brèches dans la filière du courrier où ils roulent à longueur de journées à rechercher des adresses et à livrer des colis parfois volumineux et lourds. Si bien que nombre d’entre eux ont dû, poussés à la sortie par une nouvelle loi qui leur impose une formation et une caution de 50 mille euros, revendre camions et fourgons pour se reconvertir en operai. Ce statut d’ouvrier trop souvent généraliste et corvéable à merci qu’ils avaient fui, espérant mieux gagner leur vie grâce à une activité indépendante. Encore que…
Dans un tel contexte de précarité à laquelle s’ajoute une ignorance sidérante – la moitié (50%-chiffres officiels publiés en avril 2009) de la population estimée à 60 millions d’habitants est analphabète. Elle ne sait ni lire, ni écrire- la peur de l’étranger est érigée en valeur cardinale ; sur laquelle surfent allègrement les politiques.
Deux hommes ont de fait transformé la République en un puissant empire qu’ils dirigent en brandissant la xénophobie en épouvantail. Le magnat des médias et homme le plus riche de la péninsule, Silvio Berlusconi, par ailleurs Président du conseil (Premier ministre) et son alter-ego, Umberto Bossi, leader indéboulonnable de la Ligue du nord, parti xénophobe, fasciste et sécessionniste et ministre du Fédéralisme fiscal ? ; font et défont les gouvernements. Face à eux, la mafia dont les composantes ayant pignon sur rue Cosa nostra, Camora et Toto Riina etc., sévit notamment dans le sud du pays. Lequel sud, tant et si bien discriminé qu’il ferait pâlir de jalousie nos pays «pauvres» d’Afrique et qui regarde impuissant ses fils déserter, par hordes entières pour l’eldorado septentrional. Et qui cristallise tous les enjeux électoraux.
Alors, quand échouent aux larges de Lampedusa ou de la Sicile les gommoni, ces barques mal famées et surchargées d’immigrants clandestins, la fébrilité et la rage gagnent les politiques. Mais, que serait ce pays sans cette main d’œuvre corvéable à souhait ? Certains politiques tels ceux du Partito Democratico (PD) de centre-gauche prônent l’intégration des immigrés. Ceux du centre-droit et de l’extrême droite, Popolo della Libertà (PDL) et Lega Nord déchargent les malheurs des Italiens sur les immigrés. Résultats ? Guérilla urbaine en province de Naples où les communautés d’immigrés et autochtones d’un village se sont livrées une guerre sans merci (une trentaine de morts), lynchage à mort d’un jeune Italien d’origine burkinabé à Milan par un père et son fils, brutalité policière sur un honnête père de famille ghanéen à Parme…, l’année dernière.
C’est à croire que le Bon Dieu à déserté sa résidence principale sur terre. Mais pour quelle destination ? Bien malin saura répondre qui a encore le cœur en bonne et due place.

« Qu’es-tu venu chercher ici, toi? »
Par Jacques POWPLY
(Article publié dans l’édition internationale du Magazine panafricain Afrique Compétences n° 1)

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