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Serge Bilé :Eveilleur de la conscience noire à la fécondité intellectuelle impressionnante

Journaliste, écrivain et essayiste, réalisateur et scénariste, dramaturge et metteur en scène, parolier… Aucun des métiers de la communication de masse ne résiste à l’obsession de Serge Bilé de reluire, par la vérité historique, l’image dépréciée du Noir. Explication : «un combat est nécessaire, celui de l’histoire, de la mémoire, de la réappropriation par les hommes de leur passé». Une prise de conscience qui va déterminer sa vie à la suite d’une rencontre en 1993; celle des Boni de Guyane, nos lointains cousins déportés aux Antilles par la traite négrière.
Ce journaliste ivoirien installé depuis 1994 en Martinique s’est volontiers engagé à «redonner au Noir et à l’Afrique leur passé, redonnant peut-être ainsi son passé à l’humanité», pour paraphraser le célèbre poète martiniquais Aimé Césaire dont il était très proche.
«Il est important qu’on déconstruise tous les mythes et autres stéréotypes négatifs qui paralysent les Noirs dans toutes leurs actions.», argumente-t-il, saisissant au bond cette invite de Cheick Anta Diop: «Nous menons et on mène contre nous le combat le plus violent, plus violent même que celui qui a conduit à la disparition de certaines espèces. Il faut justement que votre sagacité intellectuelle aille jusque-là (…) et arrachez votre patrimoine culturel…»
A 49 ans, Serge Bilé affiche au compteur une œuvre littéraire, cinématographique, théâtrale et musicale d’une densité numérique et qualitative extraordinaire. Laquelle traite des thématiques historiques et rares voire occultées sinon reléguées, à dessein, aux oubliettes.
Et si Dieu n`aimait pas les Noirs, La légende du sexe surdimensionné des noirs, Quand les Noirs avaient des esclaves blancs et Sur le dos des hippopotames : une vie de nègre (littérature); Noirs dans les camps nazis, Maurice le Saint noir et Les Boni de Guyane (documentaires), Couvent et sexualité puis Paroles d’esclavage (vidéo), Soweto (comédie musicale); ses productions majeures dénoncent en termes simples, tour à tour, le hold-up perpétré par les historiens contre la mémoire noire, le racisme honteux dont se rend coupable l’Eglise catholique au cœur même du Vatican, les stéréotypes véhiculés sur les Noirs, la quasi-impossible intégration des minorités en France… Pour cause ? «Mes documentaires et mes livres répondent à une même logique : faire sortir notre histoire du monde fermé des spécialistes, et tenter, en journaliste attentif, de mettre des éléments fondamentaux de l’histoire noire à la portée du plus grand nombre, de l’étudiant de Fort-de-France à l’infirmier camerounais, en passant par l’agriculteur du Larzac. J’écris cependant, avant tout, pour rendre aux Noirs leur passé, les sensibiliser à ce qui les a amenés là où ils sont aujourd’hui. Et ainsi participer, de la place qui est la mienne, à cette prise de conscience que l’on voit émerger de toute part ».
Par moments, le journaliste se surprend à rêver, aussi. Notamment quand il commet, dans Tiwa et la pierre miroir, le petit orphelin et sa grand-mère nourricière pour réconcilier deux peuples qui se haïssent depuis l’aube des temps. Normal donc que ce conte symbolique destiné aux enfants s’accompagne de Nouveau Monde, une chanson au titre plus qu’évocateur. Afin que, suggère-t-il « notre culture ne s’enferme pas dans un communautarisme stérile et que nous franchissions, nous les Noirs, ces pas que trop peu de Blancs ont jusqu’alors accepté d’accomplir : ceux qui mènent d’un homme à un autre homme, quelle que soit la couleur de leur peau, tout simplement».
Chaque livre signé Serge Bilé est un bestseller. En revanche, l’auteur ne manque pas de susciter méfiance, colère et polémique. Même sur la toile, ses œuvres ne sont pas recommandées. Certains sites vont jusqu’à envoyer des alertes de sécurité relatives à leurs contenus. Peu lui importe ! «Je suis un intellectuel qui veut aborder franchement les sujets dont on ne veut pas parler. Il n’y a aucune polémique à dire que des Noirs sont victimes de racisme au Vatican, il n’y a pas non plus de polémique à dire que des Noirs souffrent de toutes sortes de clichés méprisants… Il n’y a pas de polémique à dire que des Noirs ont été déportés dans les camps de concentrations nazis. Il y a juste que des gens refusent qu’on parle. Ils mettent donc une chape de plomb sur des sujets qui nous concernent. Parce qu’ils veulent que l’Histoire soit uniquement la leur… Mon travail n’est donc pas de créer des polémiques, mais de poser des problèmes réels…», rectifie le journaliste-écrivain.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet intellectuel assume son statut et la mission d’éveilleur de la conscience noire qu’il s’est assignée. Afin que les Noirs soient fiers de l’être. «Ils doivent savoir qu’ils ne sont pas moins intelligents que les autres et, qu’il n’y pas d’Européens qui soient les maîtres du monde et des Africains qui soient des souffre-douleurs. Nous avons toute notre place à prendre dans le monde». Par conséquents, ce journaliste très critique et à la colère contenue qui ne rechigne pas à la tâche invite les Noirs à faire preuve de sérieux aussi bien dans le travail que de le comportement. Cheick Anta Diop ne conseillait-il pas : «Il n’y a qu’un seul salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort (…) A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents…» ?
Nanti de cette connaissance et le cœur en pièces, Serge Bilé s’imagine difficilement, en regardant l’Afrique aujourd’hui, «qu’elle a été le berceau de grandes inventions humaines et politiques. On lui doit, pourtant, les mathématiques, les droits de l’homme, le ministère de l’intégration, la parité homme-femme, voire la découverte de l’Amérique ! » Voilà autant de raisons qui le motivent et le poussent à traquer la vérité historique.
Maîtrise d’allemand de l’Université de Poitiers et diplôme de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille en poche, Serge Bilé fait ses armes à France 3 où il fait des remplacements. Il se retrouve ainsi sur les routes des provinces françaises, à l’instar des quelques dizaines d’autres journalistes, à pallier les absences plus ou moins longues de ses confrères. C’est d’ailleurs la capitale de la Loraine, Nancy qui lui offre de présenter son premier JT de la mi-journée. «J’aimais cette vie de nomade», confiera-t-il plus tard. Toutefois, il appréciait beaucoup plus cette grande liberté découlant de la totale confiance de sa hiérarchie. En avait-elle seulement le choix ? «(…) On nous faisait confiance. Il est vrai qu’on nous confiait parfois les taches que les titulaires n’avaient pas ou plus envie de traiter », rappelle Serge.
Souvent parti sans avoir la moindre idée de son sujet, le journaliste débutant a tiré de cette tournure d’esprit, la substance même de son avenir professionnel : «dans les films que je réaliserais plus tard et les livres que j’écrirais, j’empoignerais à bras le corps des problèmes que je connais peu mais que je perçois comme importants, je me documenterais du mieux possible, afin de simplifier les choses complexes et pouvoir ainsi mieux les transmettre. N’étant en rien un spécialiste, seulement un curieux et un acharné, j’apprends moi-même avant d’apprendre aux autres. Le socle de valeurs que mon éducation m’a donné — respect des hommes et amour de la vérité — permet ce travail. Sur leur base, je tente de construire des choses nouvelles et différentes dont j’espère qu’elles apporteront des éléments de savoir et de réflexion à ceux qui me lisent ou regardent mes documentaires ».
Première moitié de la décennie 90, Serge atterrit en Guyane. Un an plus tard, le voilà en Martinique. Toujours dans les mêmes circonstances et pour la même raison: le hasard et un journal à présenter. «En 1993, après avoir arpenté la France en tous sens, j’ai eu envie de changer d’horizon. La chaîne de télévision RFO cherchait pour sa station de Cayenne quelqu’un pour présenter le journal télévisé. On me l’a proposé. J’ai dit oui, et j’ai quitté Paris sur le champ. (..) J’ai débarqué en Martinique en juillet 1994. Un journal télévisé à présenter. On me l’a proposé. J’ai accepté», se souvient-il.
Hasard ou carrière outre-mer prédestinée ? En vérité, Serge Bilé ne suivait que son destin. Boursier de l’Etat ivoirien, l’élève-journaliste s’était pendant ses années de formation interrogé sur le lieu où professer. Un premier stage au sein du plus important quotidien de son pays, Fraternité-Matin, lui avait laissé le souvenir d’une presse à la solde du pouvoir et qui se satisfaisait à cette situation. Un second stage dans une Télévision nationale pas mieux lotie et dont il avait tiré cet enseignement : «J’ai vite compris que ce journalisme-là, aux ordres des hommes politiques, n’était pas fait pour moi ». Et puis, il y a eu la prison en 1992, pour deux bouts de phrases sur les plateaux de la même télévision nationale, à la suite des événements du 18 février 1992. Serge est vacances à Abidjan et honore une invitation à une émission télévisée la veille de son retour en France. Répondant à l’ultime question de l’animateur qui voulait son avis sur l’arrestation des députés de l’opposition, le journaliste de France 3 avait osé ces mots : «C’est une arrestation arbitraire. Leur procès a été une mascarade de justice». Un commentaire fort déplaisant aux responsables de la chaîne puis aux autorités gouvernementales. Lynchage et injures séance tenante dans le bureau même du directeur de la télé, interpellation le lendemain à l’aéroport, garde à vue, incarcération et procès expéditif, trois mois plus tard. Enfin, condamnation à un mois de prison avec sursis. Sans doute, avait-il dû la clémence du verdict à la diplomatie souterraine, en raison de sa double nationalité de fait, le Code de la nationalité ivoirienne (1972) ne reconnaissant pas à l’époque ce statut.
Le journaliste se convainc donc qu’il exercerait son métier dans son autre «chez moi», en France. Car, le savait-il : « (…) Je sentais bien présentes en moi les deux cultures». Mais alors, comment vaincre la discrimination dans cette même France qui a, à la fois, honte et peur de sa diversité ? «Je déplorais, (..), le manque de visibilité de nos communautés antillaises et africaines à la télé. Je trouvais même cela dangereux. Pourtant, nous avions foi en l’avenir, persuadés que nos écrans prendraient rapidement des couleurs, et que bientôt, d’autres journalistes africains, antillais ou maghrébins, allaient nous rejoindre. Mais près de vingt ans se sont écoulés, et le constat est sévère. La situation n’a pas évolué. Proportionnellement au nombre de chaînes, elle aurait même régressé. Les beaux discours peuvent se succéder, rien ne change. Dans ces conditions, comment parler d’intégration et de tolérance, si une partie de la population française est carrément zappée ? »
Pour Serge et comme pour bien d’autres Français de son état, épris de justice et d’égalité ou simples militants du droit à la différence, la bataille se soldera par une certaine désillusion. Y compris, en terre noire, la Martinique où il s’est senti pendant longtemps rejeté. Hostilité à peine voilée ça et là, lettres de menaces et injures du genre « Sale Africain, rentre chez toi !» Jusqu’à ce beau matin où un de ses amis lui annonce qu’un sondage auquel il avait collaboré le désignait comme le présentateur préféré des Martiniquais. Commentaires : « Je n’en revenais pas. Je n’en demandais pas tant. J’étais soulagé, et même vraiment heureux. Tellement heureux. Je me savais enfin adopté, en retour, pour ce que j’étais par la majorité de l’île qui rejetait donc, comme moi, nos divisions ridicules. Un pied de nez à nos vieux démons, et un motif, surtout, d’espérer ! »
En 1995, une année après son établissement à Fort-de-France, Serge fonde avec des amis martiniquais l’association Akwaba (Bienvenue en langue akan) et met en place des échanges culturels et des vols charters directs entre la capitale de l’île française des Caraïbes et Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, son pays d’origine.
Outre la littérature, le cinéma etc. ; il se passionne également pour la musique. C’est cette passion qui le conduit à écrire des chansons pour de nombreux artistes et à signer la comédie musicale Soweto, sur la vie et le combat de Nelson Mandela, laquelle a été plébiscitée aux Antilles et au Casino de Paris.

Par Jacques POWPLY
(Portrait publié dans l’édition intrenationale du Magazine panfricain Afrique Compétences n°2)

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