147 millions d’euros. Tel était le montant de la cagnotte du SuperEnalotto italien qui a fait tant rêver aussi bien la péninsule que la planète entière, en ce mois d’août. Des parieurs venus des quatre coins d’Europe et même des Etats-Unis d’Amérique aux nationaux, dame Fortune a donné ses faveurs à un illustre inconnu local de la petite commune de Bagnone en Toscane, au sud de l’Italie. Dès le tirage le soir du samedi 22 août, le maire et ses 2 000 administrés moins deux, ont fait la fête jusqu’au lendemain. Personne ne s’était alors déclaré comme étant l’heureux vainqueur de la vertigineuse cagnotte. Mais les habitants craignent que cette annonce de la loterie italienne ne soit un canular. Pour cause, chacun, autant qu’ils sont, a dressé une liste de cadeaux qu’il espère recevoir du nouveau fortunato. Il sindaco, le maire lui-même l’invitait à faire des piccoli investimenti de plus d’un million d’euros pour la municipalité. Un septuagénaire attendait qu’il lui offre una piccola casa et una macchina. Un autre se voyait remettre un million d’euros qui estimait une goutte d’eau dans un océan de 147 millions. Et ils ne sont pas les seuls à rêver. Loin de là.
La perspective de décrocher cette manne plutôt démoniaque que céleste a fait tourner la tête à plus d’un. Telle, cette quarantenaire compatriote et amie qui a joué pour la première fois de sa vie à la loterie. Après chaque tirage infructueux, elle remettait cela, attendant avec fébrilité, le prochain tirage et élaborant un plan de dépenses tout aussi hallucinant que le montant du gain. Une résidence aux allures de château dans sa ville natale où elle rassemblerait l’ensemble des membres de sa grande et nombreuse famille, laquelle est pour l’essentiel composée de tantes veuves et sans la moindre ressource. Un immense et luxueux palace au cœur même d’Abidjan dont les loyers lui confèreraient une confortable rente pour le reste de la vie. Elle avait d’ailleurs estimé sa longévité à 66 ans, je ne sais encore pour quelle raison. Des cars pour révolutionner le transport entre son village et sa sous-préfecture, jetant à la périphérie voire les contraignant à une retraite anticipée, ces tyranniques et arrogants transporteurs dioula et leurs épaves de véhicules. Des placements sûrs dans les meilleures des banques à des taux d’intérêt jamais inégalés. Elle concluait chaque jour, qu’elle n’avait pas besoin de voiture de luxe et qu’elle se contenterait de son côyô-côyô actuel qu’elle expédierait à sa suite. Qu’elle exercerait encore un an comme auxiliaire de vie et s’en retournerait couler des jours heureux entourés des siens, dans son pays. Car, elle en avait assez de ses seize ans d’Italie. «Un pays aussi ennuyeux qu’un cimetière », disait-elle.
Moi aussi, j’y suis allé de mes rêves. A la différence que je les retournais dans ma petite tête. Une sorte de revanche sur le destin qui m’a fait une queue de poisson en m’emmenant ici au moment le plus inopportun. Je rattraperais l’argent et le temps perdus à me chercher en Europe…
Et, la sentence est tombée. Dame Cagnotte a préféré un quidam qui n’avait point cru en elle. Il avait fait son pari à 18H30 le jour même, soit une heure et demie avant le tirage. D’ailleurs croit-il toujours en elle ? Plus de quarante-huit heures après l’annonce des résultats du tirage, il ne s’était toujours annoncé.
Pour moi comme pour beaucoup d’autres parieurs de circonstance, deux enseignements s’imposent au terme de cette palpitante expérience. D’abord, celle-ci vient de montrer une fois encore le pouvoir des medias. En faisant leurs choux gras de cette cagnotte exceptionnelle, les medias ont sans s’en douter fait croître le nombre de parieurs. Puis, il y a la force du rêve qui fait vivre et espérer en des lendemains meilleurs, malgré les frustrations et les adversités. Ne dit-on dit pas chez nous, « ça va aller ! », pour aider son prochain à sortir d’une mauvaise passe ? La consolation du fils du pauvre prend désormais toute l’ampleur de sa signification.
Par Jacques POWPLY
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